CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 15, mardi 31 mars))
Persévérer
En ce quinzième jour de confinement interminable, un rendez-vous avec Spinoza s’impose pour renforcer nos défenses immunitaires philosophiques. En période d’égarement et sous l’effet du marché du livre, il est devenu un philosophe miraculeux, un apôtre de la béatitude, un champion de la résilience. Personne ne le lit – trop difficile…- mais tout le monde sait s’en convaincre : Spinoza l’a dit, il faut être joyeux. C’est là un impératif débile, aussi décourageant que la lecture des pages de L’Ethique.
En vérité, Spinoza n’a rien d’un gourou ni d’un directeur de conscience. Ce serait plutôt une sorte de « grand frère » de la pensée, qui éclaire et oriente sans obliger. Il affirme que tous les sentiments se rapportent au désir, à la tristesse et à la joie. Chacun d’entre nous est animé d’un désir qui le pousse à « persévérer dans son être ». Cette puissance d’être, qui porte le corps comme l’esprit subit des variations en fonction des événements qui nous affectent : la tristesse l’affaiblit ; la joie, au contraire, l’augmente.
Devant un événement malheureux de ma vie qui survient par des causes extérieures, je peux, victime de mon imagination et de mes interprétations, succomber à la tristesse. Mais si j’adopte une autre perspective, d’abord en faisant usage de ma raison, en analysant ce qui arrive et en prenant conscience des éléments de réalité, alors ma vision change, elle se décroche en quelque sorte des affects premiers que je subis.
Spinoza ne propose pas de se résigner aux événements, de consentir au malheur, de se soumettre à un ordre du monde ou à la fatalité de ce qui arrive. Il n’invente pas avant l’heure une sorte de méthode Coué, aussi ennuyeuse qu’inefficace. Il n’incite pas à ce retournement d’amertume qui nous pousse à secouer brutalement notre tristesse. Il n’en rajoute pas comme Nietzsche, qui ouvre grand les bras à son malheur criant qu’il faut l’aimer et souhaiter qu’il revienne mille fois…
La philosophie de Spinoza nous encourage à donner un sens à une joie possible. Il l’enracine dans le désir de vie qui pilote aussi notre raison et l’incite sans relâche à trouver des points de passage dans l’adversité, des prises d’air, des voies de naissance et de renaissance. Mais cette ouverture a du sens également parce qu’elle résulte d’un choix que nous effectuons. Et dans un choix, c’est notre liberté qui s’affirme.
Cette philosophie, imparfaitement survolée ici, a trouvé son terreau dans une réclusion extrême, son nid dans un tissu de malédictions. Spinoza vivait seul, exclu de sa communauté pour ses conceptions anti-religieuses, voué à une quasi clandestinité pour ses idées politiques, pauvre comme job, souffrant d’une phtisie qui l’a emporté à quarante-trois ans. Sa réflexion sur la joie est une fleur du confinement. Elle doit nous inspirer en ces temps de désœuvrement forcé, de tristesse et d’angoisse.
Spinoza : « Le désir qui naît de la joie est plus fort que celui qui naît de la tristesse. »
Christian Bobin : « La joie de ce travail dont rien ne vient à bout : vivre. »
Confucius : « La joie est en tout, la beauté aussi, il faut savoir les extraire. »