CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 53/ vendredi 8 mai)

C’est fini

« L’impatience d’en finir n’est pas philosophique », estimait Paul Valéry. Mais tout a une fin et il faut l’accepter. Commencée dès le premier jour du confinement, Cette chronique arrive ainsi à son terme après plus de cinquante articles.
Elle se donnait pour objectif de traverser une épreuve individuelle et collective absolument inédite en puisant dans les ressources de la philosophie. Une philosophie soumise au feu de l’actualité, qui accepterait le rythme et les risques de l’événement sans renoncer à lui donner du sens. Un service de pensée d’urgence, mené avec les moyens du bord, à l’instant T. . Chronique exprimait une volonté de plonger dans le temps présent, dans ses vagues et ses brouillards quotidiens.

Certains ont dû s’en rendre compte : l’exercice a changé de nom après quelques jours abandonnant le terme initial de confinement pour celui de déconfinement. Il fallait sortir avant l’heure, prendre la situation par toutes les portes et les fenêtres, s’en dégager, la déconstruire comme on dit en philo. Analyse critique et thérapie de soi, c’est ma conception de la philosophie. Un pied dans le monde, un autre hors du monde. Lucidité et mieux être. Un tragique sans pathos, ou seulement l’inverse…

J’ignore si je suis parvenu à réaliser ce projet qui était d’ailleurs moins explicite au départ. Ce n’est pas à moi d’en juger. Et c’est d’ailleurs secondaire. Car très vite sur le chemin hasardeux du confinement et sous la menace du virus, une évidence s’est imposée : votre présence nombreuse et porteuse, votre compagnie attentive et impliquée. Le confinement devenait synonyme de réunion et de liaison. De recherche croisées et de repérages réciproques. La dynamique de l’évasion dépassait largement la surface de mon clavier.

Alors, merci à tous pour votre accompagnement, vos corrections, vos suggestions, vos lectures, vos citations, vos encouragements, vos signes de reconnaissance, vos critiques, votre relais, votre participation. Merci pour votre escorte musicale, graphique, intellectuelle, affective, théorique, humoristique, politique, familiale, amicale. Merci pour ces apartés en duo, trio, quatuor. Pour cette complicité protéiforme et cette fraternité aux cent visages.

Demain, si le confinement redevenait nécessaire, ce que personne ne souhaite, la chronique peut-être reprendrait. Dans ce cas, bien entendu, vous en seriez avertis. Mais nous n’en sommes pas là. Nous sommes au bout d’un tunnel et il nous faut sortir du bon côté.

Le retour aux réalités du déconfinement sera sans aucun doute brutal. Une nouvelle épreuve nous attend. De ces journées étranges mais propices à la réflexion, retiendrons-nous quelque chose une fois retrouvée la clé des champs ? La vie reprendra-t-elle comme avant ? Changera-t-elle du tout au tout ? Serons-nous plus ou moins libres ? Le questionnement ne s’arrête pas et c’est lui qui éclairera la route.

La situation reste complexe et compliquée. C’est pourquoi il faut se garder plus que jamais des analyses simplistes et des discours simplificateurs. Eviter de céder aux faux remèdes des certitudes expéditives, aux emplâtres cyniques posés sur nos inquiétudes et nos interrogations légitimes. Notre désordre est réel, notre incrédulité a des raisons objectives, mais ne laissons personne en profiter.

Profitons donc au mieux de notre bon de sortie. Car nous sommes vivants et par ces temps viraux, c’est déjà beaucoup. Nous avons à vivre. A vivre en liberté et en humanité, avec nos valeurs et nos idéaux, au sein de réseaux denses, si souvent invisibles, d’amitié et de solidarité. Nous savons mieux aujourd’hui ce que veut dire le mot si banal et si énigmatique de vivre. Et peut-être aussi celui, plus étrange encore, de philosopher. Bonne route, sans crainte ni faux espoirs, les yeux ouverts et la tête froide.

Merleau-Ponty : « L’absolu philosophique ne siège nulle part, il n’est donc jamais ailleurs, il est à défendre en chaque événement. »
Italo Calvino : « Chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer des vivants, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place. »
Michel Berger : « Je t’envoie mes victoires sur l’ironie du sort… »

Le finale avec deux sonates de Scarlatti interprétées par l’ami Jean-Paul Catanzano

Scarlatti K9
Scarlatti K32