CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 44/ mercredi 29 avril)

Humanité

Le Covid-19 est médicalement impitoyable, incompréhensible et invincible. Il emporte également dans son déferlement pandémique quelques postulats anti humanistes enkystés qui servent de base aux neurosciences et aux théories cognitivistes qui les soutiennent.

Postulat numéro 1. L’homme ne serait qu’un être vivant parmi les autres. Sa vie n’aurait rien de spécifique, elle s’expliquerait comme celle des autres formes de vie. Une continuité biologique le relierait à l’ensemble des autres espèces. Aujourd’hui pourtant le virus semble une spécificité de l’espèce humaine.

Postulat numéro 2. Entre l’homme et la machine se trouverait une seconde continuité. L’homme trouve son modèle dans une intelligence artificielle dont il n’est que le prolongement. Aujourd’hui elle ne nous apporte aucun secours immédiat. Et les machines les plus primaires ne comblent pas nos besoins en masques, gants et gel.

Postulat numéro 3 : La médecine va fabriquer un homme augmenté. Elle va bientôt vaincre la vieillesse et la mort. Il est permis de s’interroger sur cette perspective transhumaniste enthousiaste quand on voit les médecins diverger sur le simple port d’un masque et se disputer comme des chiffonniers à propos du traitement possible. Aujourd’hui la mort a encore de beaux jours devant elle.

Postulat numéro 4 : L’humanisme était une philosophie occidentale, masculine, blanche et colonisatrice. Elle a été rejetée dans les poubelles de l’histoire. Dans un monde globalisé – c’est un paradoxe- lui a succédé la théorie des replis identitaires (nationaux, religieux, etc.) Aujourd’hui le virus nous réunit dans l’enclos universel de la maladie, de la souffrance et du danger. Dans celui aussi de la solidarité et de la coopération par-delà les divergences préfabriquées.

On en est là. Le virus ne rétablira pas les visions humanistes ambitieuses de la Renaissance ou du Siècle des Lumières. Nous en avons fait la critique et la déconstruction. Nous connaissons leurs limites, leurs mirages et leurs dévoiements. Nous ne voulons pas repartir en arrière.
Mais quelque chose s’est infecté dans les tissus de notre technoculture. Les hommes partout dans le monde veulent vivre, se défendre de cette épidémie dont ils ont l’exclusivité et qui se propage à la faveur de leur communication et de leurs échanges. Ils en soufrent pareillement dans leur corps et par leurs deuils. Toute l’économie globalisée, avec ses impératifs hystériques et ses finalités désastreuses sera impactée.
Le passage du virus peut être une chance de voir éclore une nouvelle idée de l’humanité. Nous sommes déjà réunis pour y parvenir. Nous l’entrevoyons.

Amine Maalouf : « Chacun devrait pouvoir inclure dans ce qu’il estime être son identité le sentiment d’appartenir aussi à l’aventure humaine. »
Albert Schweitzer : « Que chacun s’efforce dans le milieu où il se trouve de témoigner à d’autres une véritable humanité. C’est de cela que dépend l’avenir du monde. »
Boris Cyrulnik : « Cette nouvelle humanité qui est en train de naître doit être une humanité de débat. Cela est très fatigant mais très passionnant, c’est la source de la vie. »

Et Jean-Paul au piano pour la Mélodie hongroise de Schubert :
Mélodie hongroise