CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 43/ mardi 28 avril)

Le 11 mai…

Nous sommes encore loin du 11 mai. Mais depuis que la date a été gravée dans l’agenda national, malgré les réserves, les errements, les interrogations, c’est comme si une alarme stridente avait retenti. Les cités s’ébrouent. Les rues s’emplissent. L’énervement prend corps. L’impatience gagne les confinés.
Un mois et demi de confinement, c’est long, c’est un siècle, une éternité. Nous sommes laminés par les occupations substitutives, les divertissements artificiels, les communications à distance harassantes. Nous sommes repus de ces plaisirs redécouverts : paresse, oisiveté, procrastination. Notre endurance et notre résilience se sont émoussées à leur usage. Il faut sortir et vite ! Tous les journaux le clament et le réclament.
En réalité les choses sont plus compliquées. Les origines du virus restent confuses. Et la sortie du confinement baigne dans un brouillard d’incertitudes et de pagaille. Ce n’est pas une libération, c’est un nouveau problème. Tout simplement parce qu’elle n’est pas sans risques. La crainte pourrit donc notre enthousiasme. Ce virus est bien cruel. Notre santé ne lui suffit pas, il attaque notre désir. Nous voici face à une nouvelle torsion. Nous nous embrouillons dans les paradoxes et les ambiguïtés de notre condition.
Pour expliquer ce mécanisme compliqué, Hegel a recours à l’image d’une caverne. Imaginez, propose-t-il, des hommes vivants sous la terre avec sans le savoir un lac au-dessus de la tête. Chacun muni d’une pierre extraite de la galerie l’utilise pour lui-même et pour la construction souterraine d’ensemble. Il croit œuvrer pour son bien et pour le bien de tous.
Un élément nouveau apparaît. L’air devient un jour plus sec et rend les gens avides d’eau. Indisposés, ils se mettent à creuser toujours plus les galeries et leurs plafonds. « La croûte devient transparente. Il y en a un qui l’aperçoit et qui crie : de l’eau ! Il arrache la dernière couche de terre, le lac se précipite à l’intérieur et il les noie en les désaltérant. »
Ce que nous voulons nous engloutit. Le désir n’est pas seulement un élan positif comme une approche simpliste veut le faire croire. Il nous pousse toujours à l’aveuglette et bien souvent par lui nous sommes floués. C’est le risque, pour les troglodytes de Hegel comme pour nous confinés ou déconfinés. Nous avions fait du désir la valeur suprême, la seule autorité, la véritable idole. Voilà un paradigme de plus, un fondamental, pour le dire comme les sportifs, à reconsidérer à la dure lumière de l’événement.

Pour autant tout n’est pas mauvais, loin de là, dans le désir. L’erreur est simplement de le sacraliser. De faire TOUT dépendre de lui. De croire qu’il peut se satisfaire en son entier. Que tous nos désirs se réalisent et alors le jeu des contraires s’active et on obtient aussi ce qu’on ne désirait pas…
Mais ne nous noyons pas…Il existe aussi une autre forme de désir. Qui intègre la difficulté, la peine, l’échec, le risque. Qui ne renonce ni à l’envie ni au défi de la réalité. Ce désir utilise tout son potentiel de raison. Il s’appelle la volonté. Il va nous en falloir plus que de l’impatience et de l’aveuglement. Nous en avons.

Héraclite : « Pour les hommes que se produise tout ce qu’ils souhaitent n’est pas mieux. »
Ortega y Gasset : « Nous ne savons pas ce qui nous arrive et c’est précisément ce qui nous arrive. »
Saint Paul : « Tout m’est permis, mais tout n’est pas bon pour moi. »