CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 41/ dimanche 26 avril)

Silence

On n’y échappe pas. Ni dehors dans ces rues désertes à perte de vue. Ni dedans avec ces longues heures livrées à la seule présence de soi. Certes, dans les « déplacements brefs » autorisés, il y a bien ces chants d’oiseaux qu’on distingue nettement dans un arbre, ces pleurs d’enfant qui passent une façade. La radio ou le chien du voisin soudain plus sonores. Mais en définitive les bruits du monde, trop espacés, sans lien, en deviennent amortis. C’est le silence du confinement qui triomphe, recouvrant les jours d’un nuage d’ouate dense, palpable.
Avant la crise virale, le vacarme était tel dans nos villes et dans nos têtes que nous cherchions le silence, nous en manquions comme le nomade du désert manque d’eau. Il nous fallait nous recharger en silence à l’aide de pratiques spirituelles venues d’ailleurs, de stages de méditation conduite, de retraite dans des abbayes isolées. Il fallait qu’on nous réapprenne à connaître ses bienfaits et sa nécessité.
Le silence était la voie royale pour aller au cœur du monde, là où le moi se tait. Là où il retrouve une unité. Là où il apprend des autres. Espace privilégié de récupération de l’être, de soi, du savoir : le silence brillait de mille richesses que l’activité ordinaire nous faisait oublier ou mépriser.
Aujourd’hui, le confinement a renversé les perspectives. Un monde silencieux est un monde mort. La vie est bruyante en réalité, elle parle haut et fort. Et la vie subjective s’éprouve-t-elle avec plus d’intensité dans le mutisme ? Quand je serai mort je ne parlerai plus et plus personne ne me parlera. La question affleure immanquablement dans notre situation exceptionnelle : existerait-il un silence vivant ?
Philosophe de l’imagination, Gaston Bachelard propose un exercice respiratoire singulier qui pourrait refaire le trait-d’union rompu entre la vie et le silence. Il consiste à murmurer le mot âme en expirant et le mot vie en inspirant. Puis à ne plus écouter que notre souffle dans les mots chuchotés à voix de plus en plus basse. Dans le decrescendo c’est un autre silence qui apparaît, différent de celui qui nous fait écouter les bruits du monde ou les résonances internes du moi. Cette méditation à la fois physique et raisonnée nous fait accéder à la vérité du silence : le souffle est sa première manifestation, son essence secrète.
Au fil des respirations, « le règne du silence fermé est fini. Alors commence le silence qui respire. Alors commence le règne infini du silence ouvert. » Devenir la voix quasi informulée du souffle. Devenir aérien : l’invitation de Bachelard nous arrache aux pesanteurs du confinement. Il est bon d’y répondre. Surtout un dimanche.

Brice Parain : « Le langage est le seuil du silence que je puis franchir. Il est l’épreuve de l’infini. »
Zhuangzi : « Faire entrer le ciel en soi. »
Hervé Bazin : « C’est la parole qui est d’or, le silence est de plomb. »