CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 39/ vendredi 24 avril)

Exercices stoïciens

Je découvre un programme de méditation en ligne. On y propose de coucher par écrit sur un petit cahier une liste d’une cinquantaine de personnes auxquelles on est redevable. Cet exercice nous fait éprouver un sentiment de gratitude positif.
C’est là un des exercices stoïciens de remémoration que nous avons évoqués dans une chronique précédente. C’est même celui-ci qui ouvre les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle. L’empereur philosophe énumère les personnes qui ont joué un rôle décisif dans sa vie, notamment ceux qui l’ont éduqué ou l’ont initié au stoïcisme. Ses précepteurs et amis, son frère. En tête de liste : son père dont il était orphelin et sa mère.
L’écriture fait partie des exercices mis au point par les philosophes de l’Antiquité. Pourquoi ? Parce qu’elle actualise les enjeux d’une méditation. Parce qu’elle modifie les contenus de pensée et qu’elle a un effet thérapeutique. Marc Aurèle a rédigé ses Pensées, le soir, sous sa tente impériale, alors que, les tribus barbares l’entraînaient dans une guerre sans fin. Un retour à soi et aux bases stoïciennes indispensable pour tenir.
En pratiquant l’exercice de remémoration gratifiante chacun peut reconnaître sa dette à une compagnie humaine aux actions et influences positives. Mais plus encore la présence de ce petit peuple bienveillant, de ce réseau invisible mais si porteur, nous rappelle notre être-relié. Sans tous ces autres, nous n’aurions pu ni vivre, ni survivre ni bien vivre. Et dans le désert du confinement, on aperçoit au loin tous ceux dont le travail nous permet de vivre aujourd’hui.
Mais les autres restent les autres…Marc Aurèle se livrait également à un exercice inverse, la méditation « physique ». Il imaginait l’importun ou l’adversaire réduit à un tas d’os ou un paquet d’organes. Amis félons, filles cruelles, famille cupide, collègues de travail hypocrites et mal intentionnés, raconteurs d’histoires sur le virus…le plateau de la contre-dette devient vite aussi lourd que celui de la dette. Mais, pas de conclusion hâtive, pour un stoïcien, nulle haine, nul orgueil, dans cette distanciation sociale avant l’heure. Simplement une opération cathartique pour écarter les représentations négatives et les couler dans le temps qui passe…
D’ailleurs à ces deux exercices les stoïciens en ajoutent un troisième : l’examen de conscience, initié des siècles auparavant par les Pythagoriciens et préconisé avant de s’endormir. Là, il ne s’agit que de soi, de savoir ce que chaque jour on a fait de bien ou de mal, pour les autres ou contre eux, d’utile ou d’inutile à la société, etc. Cet exercice est sans doute celui le moins évident des trois. Notre complaisance ou nos résistances sont fortes. La pensée positive devient plus délicate, plus tortueuse. La journée s’estompe vite. L’oubli est si proche du sommeil et la nuit de l’absolution…
Gratitude, détachement réaliste, retour à soi. Chacun choisira sa méditation stoïcienne ou tentera peut-être les trois. Le confinement offre du temps disponible, il faut bien le passer…

Marc Aurèle :
« Qu’est-ce qu’un homme ? Une partie de la cité. »
« L’agitation humaine : hier un peu de glaire, demain cendres ou squelettes. »
« Il est contre nature de s’opposer les uns aux autres : et c’est s’opposer à eux que de s’irriter ou se détourner d’eux. »
Les vers d’Or (attribués à Pythagore) : « N’accueille pas le sommeil sur tes yeux relâchés avant d’avoir pesé chacune de tes actions du jour…Blâme le mal que tu as fait et réjouis-toi du bien. »