CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 38/ jeudi 23 avril)

C’est du grec

Catastrophe, chaos, crise : trois mots d’origine grecque nous soufflent le vocabulaire pour lire la situation extraordinaire dans laquelle nous a plongés l’épidémie planétaire de Covid-19. Trois mots à tonalité négative qui expriment parfaitement notre détresse actuelle devant la difficulté de penser et de vivre l’événement. La pandémie est à la fois une catastrophe humaine, une crise sanitaire et un chaos économique. Mais dans le choc et la sidération, les mots grecs retrouvent un sens originel qu’ils avaient perdu.

Par catastrophe nous entendons communément accident aux conséquences tragiques, situation de grand danger. Le mot, sans doute à cause de sa puissance phonique, évoque immanquablement le fracas (catastrophe ferroviaire, aérienne) et la rupture, le craquement psychologique, la dégringolade. Catastrophe, est issu d’un verbe grec qui signifie tourner vers le bas. La catastrophe renverse et bouleverse.

Outre sa dangerosité mortelle – et en raison d’elle- le virus a tout chamboulé dans son déferlement. Notre mode de vie et de pensée. Nos certitudes et nos références. Le personnel politique tâtonne, la science médicale piétine. Tous les discours se retournent. Nous sommes exposés au danger et à la panique.

Le chaos désigne le désordre dont le chaos naturel, entassement confus de rochers dans un paysage, fournit l’image concrète. Depuis l’apparition du virus, les discours des médecins et des responsables politiques roulent dans l’incohérence et la contradiction. Et nos esprits se dérèglent.

A l’origine, dans la théogonie grecque, le chaos, n’est pas le fatras, la désorganisation, c’est la Béance primitive d’où le monde est issu. Le chaos c’est le nom du néant primitif, obscur, vertigineux. Plus que dans le désordre, c’est au bord de cet abîme de mort et de non-sens que nous a conduit le virus dans un fascinante retour en arrière métaphysique. Le plus archaïque est devenu actuel.

Nous appelons crise un phénomène soudain, violent, collectif ou général et aux conséquences gravissimes. Crise est un mot-valise qui à force de s’appliquer à de multiples situations (crise de nerfs, crise financière, crise du logement) et de recevoir des intensités différentes (manifestation optimale d’un trouble, tension, pénurie) finit par ne plus dire grand’ chose.

La crise, en grec, signifie, séparation et aussi décision. C’est un terme actif, impliquant une volonté, un esprit à l’œuvre, sans le pathos que nous introduisons aujourd’hui dans le mot. Il ouvre une piste dans le marasme général.

Le confinement est de toute évidence une occasion inespérée pour chacun de faire le point sur soi-même. De déterminer, ce qui est bon, essentiel pour lui. De faire le tri dans son mode de vie et de penser. C’est un moment à soi, un moment personnel. Comme tous les moments d’épreuve, il est propice à l’analyse, au choix puis à la décision de ce qu’il faut éliminer et de ce qu’il faut privilégier.

Par son amplitude collective, la pandémie nous offre l’opportunité de réfléchir ensemble à ce qui bon pour nous et nous fait vivre. La santé, la solidarité, l’importance d’un Etat protecteur et la nécessité d’un propos clair de la part des gouvernants paraissent en tête de liste des thèmes ouverts par le virus.

Ebranlés par la catastrophe, au bord d’un trou noir, il nous reste notre pensée critique pour trouver de nouveaux repères et choisir un autre chemin. Etymologie vient d’un mot grec etymos qui veut dire vrai. Le Covid-19 est aussi une épreuve de vérité.

 

Paul Valéry  « Toute l’histoire humaine, en tant qu’elle manifeste la pensée, n’aura peut-être été que l’effet d’une sorte de crise, d’une poussée aberrante. »

MC Solaar : « Les maux par les mots, c’est ainsi qu’on guérit. »

Michel Serres : « La crise est un état de transition où une transformation va se décider. »

Et aussi la Gnosienne N°3 par Jean-Paul :

Gnosienne 3