CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 37/ mercredi22 avril)

Parapluie philosophique

 

« Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville… » Nul mieux que Verlaine n’a perçu et exprimé l’accord immédiat et secret de la pluie et de la tristesse, sentiment trouble où confluent ennui, manque et ignorance. Au quatrième jour de pluie dans le sud, et au trente-septième de confinement, il faudrait être un minéral pour ne pas en être envahi. Confinement dans le confinement. Une sortie qui saute. Double peine…

Contrairement à ce qu’on imagine, la philosophie ne néglige ni la tristesse ni les pleurs. Et le philosophe n’est pas un homme de marbre. Un des premiers penseurs de l’Occident, Héraclite (Vème siècle av. J.-C.), a rapproché la tristesse de l’impermanence des choses et du devenir auquel tout est voué. « Tout s’écoule », est une de ses formules-chocs. Oui, tout se dilue, se dissout dans la pluie et de sombres pensées naissent dans la grisaille du ciel…

On dit qu’Héraclite, surnommé l’obscur en raison de ses formules sibyllines, se mettait souvent à pleurer comme s’il avait intériorisé, incarné, l’élément liquide qui sert de métaphore à la fuite inexorable du temps et à la mort.  Ironie du sort, il aurait souffert de rétention d’eau, demandant aux médecins de produire une sécheresse. Il serait mort en plein soleil de cette hydropisie…

Mais Héraclite était aussi le penseur des contraires, de leur enchaînement et de leur coopération productrice. Il ne faut donc pas s’étonner de trouver dans ses aphorismes : « Le soleil est nouveau chaque jour. » La pluie n’est qu’un moment d’un cycle d’alternances sans fin. Elle-même se dissout dans son passage du ciel à la terre, du haut vers le bas.

Et pour les optimistes d’ailleurs, l’eau nourrit la terre. Elle lave et purifie ses habitants du monde. Pas de vie sans eau. Pas d’entreprise de soi sans régénération. La pluie participe au mouvement de vie héraclitéen. Elle peut prendre deux visages opposés et inverser ses effets. Elle est ambivalente.

C’est donc en nous qu’il faut trouver la source des valeurs attribuées. Voici ce que propose Alain dans ses Propos sur le bonheur : « A quoi bon dire : « encore cette sale pluie ! » ; cela ne leur fait rien aux gouttes, ni aux nuages ni au vent. Pourquoi ne dites-vous pas aussi bien « Oh ! la bonne petite pluie ! » Je vous entends, cela ne fera rien du tout aux gouttes d’eau, c’est vrai, mais cela sera bon pour vous. » Dans une chanson célèbre, Georges Brassens nous a utilement rappelé l’intérêt de la pluie et des parapluies.

Sur sa grand ’route du bonheur, Alain va un peu plus loin que le plaisir pour soi seul. Il incite à sourire aux autres. Car si le sourire ne fait rien à la pluie, il transforme les hommes et, dit-il, par imitation, les rend moins tristes et ennuyeux.

Je reçois une vidéo de mon petit-fils (15 mois) qui jubile en piétinant dans les flaques. Je souris et m’émerveille devant ce jeu passionné, cette danse exubérante. Et reste sidéré par l’union subite des contraires : le soleil est dans la pluie. On comprend Héraclite qui jouait aux osselets avec les enfants.

 

Alain : « Et prenez aussi les hommes comme la pluie. »

Claude Nougaro : « La pluie fait des claquettes. »

Sénèque : « La vie, ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie. »