CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 36/ mardi 21 avril)

La caverne du confinement 

 

Chacun a pu s’en rendre compte, le confinement stimule la réflexion philosophique… .De beaux concepts et des pratiques vivaces sont nés de lui. Le cosmopolitisme a surgi dans la jarre de Diogène. Descartes a mis au point sa célèbre méthode et son cogito dans une pièce à chauffer où l’hiver le reléguait. Spinoza a cultivé la joie dans l’isolement de sa chambrette. Et Nietzsche a lancé ses alertes philosophiques du fond des garnis italiens qui abritaient sa solitude.

Mais le champion de l’usage du confinement reste sans conteste Platon, non par son vécu mais par sa célèbre allégorie de la caverne. Notre existence, raconte-t-il, ressemble à celle de prisonniers au fond d’une grotte qui, la tête bloquée, ne peuvent regarder que des ombres portées sur la paroi. N’ayant aucune autre expérience, ils prennent pour des réalités ces ombres, en fait des projections d’objets qui passent dans leur dos. Dans son confinement souterrain, l’âme est victime d’illusions.

Pour Platon la pensée est la faculté qui va permettre à l’âme de se libérer de ses fers et de se tourner vers la lumière et la connaissance. D’abord vers les objets eux-mêmes, puis vers le feu qui les éclaire. Ultime étape du déconfinement platonicien : la sortie de la caverne. Une fois à l’extérieur l’âme contemple la vraie lumière. Cette conversion doit se faire par étape, car le soleil éblouit et peut aveugler l’âme restée longtemps dans la pénombre

La belle métaphore platonicienne raconte encore autre chose. Une fois la vérité aperçue et le cheminement qui y conduit identifié, l’âme doit retourner dans sa grotte. C’est son destin terrestre. Elle n’échappe pas à une condition humaine où elle se confronte à l’illusion et l’erreur. Le philosophe y trouve sa mission. Et plus largement tous les êtres doués de réflexion que nous sommes. Nous ne sommes que des intérimaires de la vérité.

Le virus nous a plongés dans une obscurité épaisse où nos certitudes se sont fondues. Sur le fond de notre ignorance, des discours contradictoires, irresponsables ou tout simplement mensongers projettent leurs simulacres. Comme les âmes de Platon, nos esprits sont esclaves des représentations qu’on leur livre. Notre caverne est encore plus trompeuse, c’est une crèche fabuleuse, elle miroite d’une surbrillance médiatique.

A travers son mythe, Platon nous enseigne que c’est du confinement caverneux dans notre condition que naît et se transmet une volonté d’air libre et de lumière. Nous avons donc des permissions de sorties. Et sans lui, nous n’aurions même pas conscience de notre ignorance et des dissimulations dont nous sommes victimes.

Pourtant c’est dans la caverne que le combat contre l’illusion et l’ignorance, contre soi-même aussi, toujours continue. La vieille allégorie platonicienne, le marronnier de la philosophie, reste décidemment au programme y compris après le 11 mai…

 

Lao-Tseu : « Il ne s’agit pas de se retrancher du monde, de s’enfermer dans une tour d’ivoire, il faut tout savoir, être informé de tout et pourtant rester critique comme si on ne savait rien. »

Confucius : « Je ne peux rien pour qui ne se pose pas de questions. »

Proverbe chinois : « Le savoir que l’on ne complète pas tous les jours diminue tous les jours. »