CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 35/lundi 20 avril)

Pharmacie 

 

Pas de traitement contre le Covid-19…La grande machinerie des labos s’est enrayée. Les Français, champions du monde de la consommation de médicaments, affrontent une situation aussi imprévue que frustrante. Pendant le confinement, les pharmaciens restent à leurs postes afin de satisfaire la demande. Pour saluer leur présence indispensable, on s’attarde aujourd’hui sur le mot pharmacie.

Le mot virus est univoque. Il signifie poison. Les choses sont plus complexes avec celui de pharmacie, porteur d’une ambivalence originelle. Le mot grec pharmakon désigne à la fois le remède et le poison… C’est pourquoi sans doute dans l’art pharmaceutique tout est affaire de dosage, de posologie et de mode d’emploi. La plupart des médicaments peuvent avoir des effets indésirables. D’autres, les placebo (du latin je plairai…) sont des substances neutres mais produisent des effets psychologiques incontestés.

Bien loin de nos scandales sanitaires, Platon utilise le mot phamarkon pour nous inciter à distinguer les bons et les mauvais discours. Les premiers (remèdes) sont au service de la vérité, les seconds (poisons) sont trompeurs. Platon nous met en garde : il est des discours qui endorment voire intoxiquent. A première écoute, ils ont la même apparence et le même pouvoir de séduction. Mais le poison peut se cacher derrière le supposé remède. Le mensonge passe par le même canal que celui de la vérité.

Dans le monde ancien, celui d’avant le Covid-19, nous avions cédé aux sirènes d’une pharmacie, elle-même passée sous la houlette du marché. Nous avions sombré dans l’addiction des promesses sans scrupules de sirops Typhon et autres élixirs de longue vie. Et négligé aussi les messages des crises pharmaceutiques.

La santé est redevenue prioritaire sur le profit. La vie est nue aujourd’hui, Dans cette nudité deviennent plus évidents notre dangereux besoin de croire et l’inévitable dualité qui tiraille dans la plupart des cas la condition humaine. Les substances qui serviront à combattre le virus viendront de Chine comme le virus lui-même…Mais s’éclairent plus violemment aussi les contradictions et les mensonges des discours officiels d’ici et d’ailleurs.

Attention pourtant : le mot de pharmacie englobe une signification plus trouble encore que le double sens mis en lumière par Platon. Le pharmakos, dans la Grèce archaïque, désignait la victime expiatoire, le bouc-émissaire dont le sacrifice ou l’expulsion permettait de purifier la cité.

Protégeons-nous contre le virus et contre les discours mensongers qui l’accompagnent. Saluons les pharmaciens et immunisons-nous contre notre noire tendance, notre inclination empoisonnée à chercher des boucs-émissaires quand il faut seulement établir des responsabilités. Soyons notre remède et notre pharmacien.

 

René Girard : « La foule tend toujours vers la persécution. »

Corneille : « D’où le mal procède part aussi le remède. »

Shakespeare : « A des maux étranges on applique d’étranges remèdes. »