CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour32/ vendredi 17 avril)

Enfance

 

Aujourd’hui ma petite-fille a quatre ans. Et mes pensées confinées s’envolent vers elle, qui habite si loin. Me voici cerné par des visages d’enfants, enroulé dans une ronde bruyante et tonique. Me voici au centre du cercle clair, chaleureux et mobile de ma propre enfance.

Ce virus qui nous inquiète et nous terrasse présente un trait positif. Globalement, il épargne l’enfance. Ce n’est pas le cas de toutes les catastrophes ni des fléaux humains. Les nazis n’ont pas eu autant de respect. Ni les génocidaires. Ni ceux qui sèment la mort en Syrie ou ailleurs. Seul l’homme semble avoir le sanglant privilège de massacrer ce qui est sacré en lui.

L’enfance ne dure pas longtemps et pourtant elle ne cesse d’être là, comme la couche profonde de l’être. Son éternité résonne dans l’actualité de l’adulte. Echos pleins de bonheurs et de défis relevés, mais aussi morsures dans les recoins du temps, secrets indéchiffrables sous un voile de souvenirs. Avec cette enfance toujours là, nous sommes des sourciers de nous-mêmes.

Et dans ce confinement, si nous écoutons les messages de nos sources, nous y trouvons de quoi le traverser. La capacité à imaginer qui déréalise les murs les plus épais. L’envie de jouer qui nous lance vers les autres dans un envol de récréation. Ou bien celle qui, à la fois solitaire et presque sans nous, nous fait bricoler des symboles pour exprimer et affronter la réalité. Enfants de notre enfance, nous remontons ainsi au commencement du temps. Quand il n’est plus qu’attente pure, ouverture lancinante, mais aussi jaillissement de curiosité et de surprises.

L’enfance est promesse de vie. Ténacité aveugle d’une espèce à travers la reproduction mais aussi transmission de cette flamme qui l’éclaire à travers l’éducation. Fragilité aussi, toujours menacée par la haine et le mal. Et il est donc heureux que le virus ait rebondi contre sa porte. Quand l’enfance résiste nous somme sauvés.

Ce n’est pas facile d’être enfant en ce moment. L’école buissonnière s’est fixée à domicile. Les devoirs se font sous l’œil des parents. Le temps d’écran augmente qui bouzille les yeux. Les copains sont loin. Les opportunités de micro-conflits augmentent. L’énergie bouillonne de trop se contenir. Quand on la vit, l’enfance est parfois un enchaînement de drames…Mais ses enseignements demeurent.

Ma petite fille, j’imagine ton regard noir et profond, ton sourire ensoleillé. Sur un sentier indéfini que j’invente dans l’absence, tu mets ta menotte dans la mienne et tu m’entraînes dans une danse d’abeille pour butiner partout. Nous ne serons pas réunis pour fêter ton anniversaire. Mais aujourd’hui, c’est toi qui offres le plus beau cadeau : l’image régénérante de l’enfance invaincue.

 

Freud : « L’enfant est le père de l’homme. »

Bachelard : « L’enfance est le puits de l’être. »

Saint-Exupéry : « On est de son enfance comme d’un pays. »

Winnicott : « Le jeu est inhérent à la condition de vivre. »

Jean Ferrat : « Nul ne guérit de son enfance. »

Et Jean-Paul avec un morceau de Bach :

Suite française 2