CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 31/ jeudi 16 avril)

Scepticisme ?

 

Sur le port du masque, la distance, le traitement possible, le dépistage, les porteurs sains, les pics et les plateaux épidémiques, sur quasiment tous les aspects de ce virus, les avis médicaux autorisés n’ont cessé de fluctuer et parfois de se contredire. Nous avons plongé collectivement dans l’abîme du doute. Le scepticisme serait-il devenu la nouvelle philosophie de la planète terre ?

Le scepticisme est un mouvement de pensée initié par un certain Pyrrhon qui a suivi l’expédition d’Alexandre le Grand en Orient. Il y a rencontré des mages perses et des sages nus indiens. Il a ramené de son voyage deux concepts exotiques qu’il a introduits dans sa culture d’origine : l’insaisissabilité des choses et la suspension du jugement.

Scepticisme vient d’un mot grec skepsis qui signifie examen. Les sceptiques estimaient qu’on ne peut jamais atteindre une quelconque vérité. Nous ne pouvons qu’examiner les situations. Les comprendre et nous adapter. Mais comme tout change, et les situations, et les sensations ou opinions que nous en avons, comme tout est finalement instable, on s’abstiendra de tout jugement, C’est la clé du bonheur.

Le scepticisme a un versant positif. Il permet de remettre en question les idées reçues et les savoirs acquis. Il provoque un doute méthodique qui sert de moteur à la connaissance. Douter, c’est encore prendre le temps de la réflexion, écarter le dogmatisme dans les domaines passionnels de la politique ou de la religion, s’ouvrir à la relativité et à la diversité des cultures.

Mais le scepticisme a ses pentes glissantes. Il inhibe l’action et paralyse l’acteur, on connaît même des névroses du doute. Et puis, il génère une incrédulité systématique, à la fois puérile et dangereuse (théorie du complot).  L’indifférence où il conduit tourne à l’absurde. Aristote s’est moqué de l’incapacité du sceptique à trouver le bonheur. S’il est indifférent pour bien vivre de se jeter ou pas dans un puits, fait-il remarquer, pourquoi tous les sceptiques ne s’y précipitent-ils pas ?

Une chose est sûre : le scepticisme lui-même ne peut esquiver les attitudes qu’il recommande, l’examen et le jugement critique. Platon a mis en lumière ses contradictions : le sceptique croit dans la vérité du scepticisme et il valide l’opinion adverse…

Le confinement nous aurait-lui inoculé le virus du scepticisme ? Pas si sûr. Ces doutes qui nous assaillent aujourd’hui, ne révèlent-ils pas, par contraste, une puissante et tonique volonté de savoir qui nous a fait défaut depuis quelques décennies, gavés que nous étions de certitudes expéditives ?

Dans un monde où l’illusion médiatique fascine, où tout se plaide et s’achète, le souci de la vérité avait fini par laisser sa place aux plaisirs préfabriqués des artifices et des simulacres. Le virus a fait exploser nos paradigmes et leur miroitement fallacieux. Il rend quasiment impossible le mensonge, la dissimulation maladroite et les manipulations grossières.

Aujourd’hui une humanité confinée écoute, se documente, sous-pèse, critique, questionne et se questionne sur ce virus inconnu et ravageur. Elle refuse l’ignorance et la distraction où on la maintenait. Elle veut savoir en temps réel parce qu’elle joue sa vie. Elle s’est réveillée. Nous ne sommes pas devenus sceptiques, nous sommes redevenus des chercheurs de vérité. Il était temps.

 

Montaigne : « Le doute est un mol oreiller pour une tête bien faite. »

Jankélévitch : « Philosopher, c’est se comporter vis-à-vis de l’univers comme si rien n’allait de soi. »

Goethe : « La vérité nous force à reconnaître que nous sommes des êtres bornés ; l’erreur nous flatte en nous faisant croire que dans une direction au moins nous n’avons pas de limites. »