CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 29/ mardi 14 avril)

Désert

 

L’annonce est tombée : un mois de plus… Un mois de plus, avec ces journées sans fin, ces commerces fermés, ces rues vides immobiles entre maisons et goudron, ces quartiers silencieux et figés, ces enfants, parents et amis éloignés. Un mois de plus avec cet esprit sec et brûlant et cette impression que le corps s’assèche, qu’il manque d’eau. Confinement :  glissement dans les sables de l’absence et de l’inanimé.

Après la dune molle, une autre dune molle. Après le mirage tremblant, un autre mirage tremblant. C’est une traversée du désert. En temps normal, il fallait payer très cher pour la vivre en simili dans des voyages organisés, au Sahara ou ailleurs. Aujourd’hui le voyage est gratuit et vrai de vrai.

Nous atteignons le vingt-neuvième jour du confinement désertique. Nos pas glissés dans les traces du rocker Jean-Patrick Capdevielle et nos oreilles emplies de son tube célèbre, nous nous interrogeons sur cette expérience individuelle et collective si étrange qu’elle paraît irréelle. Vox clamantis in deserto

Désert vient du verbe latin desero qui signifie abandonner, se séparer. Le désert géographique, lieu inculte et dépeuplé, fournit la métaphore de la solitude.  L’image matérielle fait signe vers la séparation que chacun doit assumer pour se vivre pleinement lui-même.

Le désert alors devient synonyme d’errance et de recherche, comme celles de Moïse et de son peuple en marche vers la terre promise. C’est aussi le décor de l’épreuve intérieure : durant quarante jours, Jésus y affronte le jeûne et les tentations de Satan. L’homme aussi y teste sa volonté : Le Désert nomme le lieu clandestin où, durant un siècle (1685-1789), les Protestants de France pratiquaient leur religion. Le désert éveille la résistance inflexible.

Avec son décor minéral et solaire, vide et immense, le désert -symbolique ou réel- nous met en présence de l’inhumain et de cette satanée finitude avec laquelle il nous faut cohabiter et pactiser. La mort y rôde sous le soleil.

Mais son expérience fascinante et endurante est aussi cathartique – du grec catharsis, purge et purification. Purification par la chaleur et la lumière, par dessication de l’inessentiel, par un feu invisible venu de l’intérieur. Le désert, c’est l’épreuve de vérité. L’homme y regarde vers l’absolu et vers ce qui est absolu dans et pour sa vie.

Les alchimistes voyaient dans le feu un symbole de régénération. L’ascèse désertique a ses vertus. Patience : elle redonne la vie, elle relance vers la vie. Comme toute épreuve, le désert n’est qu’un lieu de passage, un sas entre deux états. On sort transformé par son défi incandescent, décapé, remis à neuf. Le désert est l’occasion d’un questionnement salutaire. On n’y perd que des illusions et des parts inessentielles de soi. Et puis, il reste tant d’oasis à découvrir. La traversée du confinement continue. Désertons-nous !

 

Capdevielle : « Quand t’es dans le désert depuis trop longtemps, tu te demandes à quoi ça sert toutes les règles un peu truquées… »

Saint-Exupéry : « J’ai toujours aimé le désert…On n’entend rien et cependant quelque chose rayonne en silence. »

Nietzsche : « Malheur à celui qui abrite en lui des déserts ! »

Monod : « Le désert est beau, ne ment pas, il est propre