CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour28/ lundi 13 avril)

Je marche donc je suis 

 

Une heure de marche par jour…C’est ridiculement peu. Raison de plus pour en tirer le meilleur profit, c’est-à-dire y glisser un souffle de philosophie. La marche s’y prête, c’est une activité hautement méditative, d’autant plus quand on est obligé de la pratiquer en individuel.

La philosophie n’a pas attendu les écrivains ou les mouvements politiques à la mode pour se mettre en marche. Parmi les plus célèbres penseurs, inconditionnels de la déambulation, on citera Aristote, Rousseau et Nietzsche.

Aristote, donnait ses cours en se promenant avec ses disciples. On les nommait les péripatéticiens. Se promener en grec se dit peripatein, le terme a depuis été recyclé dans un registre plus trivial. Misère de la philosophie…

« Je ne puis méditer qu’en marchant. » Pour Rousseau, ex-enfant fugueur et philosophe de la promenade, la marche en pleine nature n’est pas un exercice physique mais une condition pour penser. C’est une occasion pour lui de refaire son unité en se dilatant dans « l’immensité des êtres. » C’est sur la route de la prison de Vincennes, où il allait rendre visite à Diderot, qu’il a commencé la rédaction de son premier Discours pour entrer de plain-pied dans le monde littéraire.

Nietzsche a conçu son Zarathoustra au cours d’une randonnée sur les pentes de la Riviera italienne. Penseur des sentiers escarpés et de l’aplomb solaire,  il trouve dans la marche une délicieuse surexcitation : « On est parfaitement hors de soi avec la conscience la plus distincte d’une infinité de frissons délicats, de ruissellements qui vous parcourent jusqu’aux orteils. »

Poète qui avait les philosophes en grippe, mais qui cherchait à tout prix à mettre de l’esprit dans ses mots, Valéry trouvait dans la marche un rythme physique propice aux cadences poétiques et au décompte des pieds. Un jour dans les rues de Paris, il constate : « Je fus saisi d’un rythme qui s’imposait à moi, et me donna bientôt l’impression d’un fonctionnement étranger. »

La marche aide le moi à s’alléger de sa propre charge et en ce sens elle est un exercice salutaire de délestage. Bénéfique pour le corps, elle possède des effets thérapeutiques sur l’esprit, stimulant sa créativité, son pouvoir d’évasion et de régénération.

Pour l’anecdote, la marche est également un motif de divergence entre philosophes illustres. Trouvant absurde la proposition de Descartes « Je pense donc je suis », Hobbes lui suggérait d’en changer la première partie : « Je me promène donc je suis. » D’une susceptibilité maladive, Descartes répondit en substance que pour affirmer qu’on se promène il fallait d’abord en être conscient, et cessa dès lors toute correspondance avec Hobbes.

Mais la marche philosophique tente tout de même d’aller plus loin que ces bisbilles. Philosopher, nous dit Jaspers, c’est « être en route », prendre part à l’histoire des hommes, à ses processions et à ses farandoles, à ses progrès à et ses retours en arrière, ses ascensions et ses chutes spectaculaires, ses chemins de crêtes et ses voies de traverse.

Il existe un cogito de la marche qu’on peut pratiquer sans modération, pedibus cum jambis. En latin je marche se dit ambulo, qui a donné ambulance…  « Ambulo, ergo sum. »

Aujourd’hui les citations ont suivi le cours de la promenade…