CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour26/ samedi 11avril)

 

Méditation par les voyelles 

 

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu… voyelles je dirai vos naissances latentes… » Dans un de ses poèmes les plus célèbres, Arthur Rimbaud a donné des couleurs aux voyelles. Il les a glissées dans un réseau de correspondances où elles résonnent avec tous les sens et avec des pensées à forte charge vibratoire : la mort, la violence, le divin, la sérénité.

Marc De Smedt, partisan d’une spiritualité laïque et référence dans le domaine de la méditation (Les racines de la méditation, Albin Michel), propose un exercice original et tout simple avec les voyelles, à pratiquer en période de confinement. On les chante trois fois l’une après l’autre jusqu’à la fin du souffle et en laissant un silence entre chaque phase. Essayez, ça fait du bien.

La poésie déconfine les sens. La méditation déconfine l’ego. Dérèglement des sens pour la première, sérénité pour la seconde. Et la philosophie ? Tentons une variante : A comme amour, E comme être, I comme intelligence, U comme universel, O comme Oui.

A, l’amour, l’amour sous toutes ses formes, de l’amour de soi jusqu’à celui de l’humanité en passant par les formes les plus ardentes et les plus intenses, amour de sa compagne, de ses enfants, de ses amis. Les philosophes sont-ils autre chose que de grands amoureux ? Dans philosophie se glisse un verbe grec (philein) qui veut dire aimer, désirer, rechercher. Et c’est sans doute la part la plus importante du mot, son cœur battant. Le confinement ne nous ramène-t-il tout droit à ce sentiment essentiel qui nous fait humains y compris pour en souffrir

E, l’être. La philosophie privilégie le verbe être. Elle le place au-dessus des verbes apparaître et surtout avoir. En mettant un article devant le verbe, les philosophes -avant que les religions révélées lui donnent le nom de Dieu- ont cherché à donner un sens à l’Etre, à le saisir et à le définir. Le confinement avec son grand suspens de l’action et des relations ouvre la pensée de chacun à son être. Les questions se lèvent : qui suis-je ? Quel est cet être auquel je participe ? Nous ne le trouvons pas mais tout se trouve en lui…

I comme intelligence. Philosopher, c’est se questionner sur les phénomènes, sur soi, sur la société où nous vivons. C’est se poser des questions pour comprendre, modifier nos actions et transformer nos conduites individuelles et collectives dans le monde. Nous en avons l’occasion aujourd’hui avec ce virus mystérieux qui sème la destruction dans nos habitudes et nos certitudes.

U comme universel. Le virus nous rappelle à notre interdépendance, à la réalité aveuglante de notre-être relié. Mais aussi à notre aspiration à la solidarité aussi inexplicable et aussi puissante que l’agressivité qui nous habite et capable de l’écraser. Et si l’on veut ajouter un post-scriptum à ce paragraphe, u comme utopie. Parce que l’homme toujours dépasse l’homme. Dans l’espace comme dans le temps. Sous la lumière crue du virus, nous imaginons un autre monde, un monde meilleur, car nous ne savons pas nous contenter de ce que nous sommes.

O nous donne Oui, le oui à la vie. La philosophie tente de nous garder d’une béatitude de ravi. Elle est n’est pas dupe sur la condition humaine, elle ne se leurre pas sur la portée de son discours. Mais l’embouchure du courant philosophique, c’est toujours la vie, la protection et l’épanouissement de la vie. Sous la menace du virus, dans la situation léthargique du confinement, c’est cette envie de vivre qui nous porte tous. D’exister encore, de se remettre en mouvement, de retrouver les autres dans la grande fête du vivant à laquelle nous avons la chance et la conscience de participer.

Naissances latentes…sous ses voyelles la philosophie éveille l’envie de renaître à nos existences implicites, secrètes ou refoulées. L’envie de naître à nouveau, de naître autrement.

 

Gille Deleuze : « Devenir le fils de ses propres événements, et par là renaître, se refaire une naissance, rompre avec sa naissance de chair. »

Descartes : « C‘est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher. »

Bachelard : « L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité. Elle est une faculté de surhumanité. »

Rilke : « Tout ce qui arrive est toujours un commencement. »

Et aussi un peu de piano avec mon ami Jean-Paul  : Tiersen