CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 49/ lundi 4 mai)

Bêtise

Le Covid-19 est une formidable usine à bêtise. Sur le virus et le confinement, y-a-t-il une énormité que nous n’ayons pas entendue ? Sommités médicales, ministres, experts, journalistes, philosophes médiatiques, personne ne semble avoir échappé à la pandémie de stupidité que sème le virus sur son passage. Des conférences de presse d’organismes internationaux, pourtant spécialisés dans la question, aux réseaux sociaux en passant par les plateaux TV, aucun canal de diffusion n’a été épargné. Dissimulations puérile, mensonges grossiers, fake news débiles, théories du complot consternantes, la chorale de l’imbécilité a pris les dimensions de la planète.

Avant de parler, tous les tribuns de l’idiotie auraient dû tourner sept fois la langue dans leur bouche et passer leur discours au travers des trois tamis de Socrate, c’est ce que suggère une vidéo qui circule en flux tendu sur nos messageries. On retrouve cette anecdote philosophique dans Les Philo-Fables de Michel Piquemal, excellent petit ouvrage à l’usage de tous.

Un Athénien interpelle Socrate. Toutes affaires cessantes, il veut parler de la conduite d’un ami du philosophe. Socrate lui demande si au préalable il a soumis son propos au test des trois tamis. Le premier est celui de la vérité, le deuxième de la bonté et le troisième de l’utilité. L’homme répond non aux trois questions de Socrate. Le philosophe conclut : « Si ce que tu as à me dire n’est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère l’ignorer. Et je te conseille de l’oublier. »

Dans un monde où chacun est libre de donner son avis quel qu’il soit, dispose pour cela de moyens de diffusion extraordinaires, où le jeu émetteur-récepteur ouvre d’immenses possibilités de rebond, où la simulation et la dissimulation tissent le grand discours- spectacle de l’humanité, la sagesse de Socrate semble un reste fossile à dater au carbone 14.

Mais qui peut en toute honnêteté affirmer qu’il effectue le triple tri socratique avant de parler ? Que vaut cette affirmation ? Parler n’est-ce pas prendre le risque de parler mal, de dire des choses inutiles, blessantes, laides à entendre, et bien souvent sans qu’on le veuille, porté par un discours inconscient, qui nous parle plus que nous le parlons ?

On ne sait d’où vient l’anecdote des trois tamis. Socrate ne se prétendait pas sage, mais seulement philosophe. S’il cherchait, au fil d’un dialogue construit, à accoucher son interlocuteur d’une vérité, il n’estimait pas la posséder mais plutôt l’entrevoir avec lui.
La bêtise, l’ignorance, l’ignorance de la bêtise sont le bain langagier, le milieu bavard où nous sommes plongés et où nous évoluons. Le babil planétaire, la cacophonie bruyante de la bêtise aujourd’hui à pleine chauffe ne chantent que notre désarroi et notre peur. C’est la musique humaine des temps incertains.

Pas de masque, pas de gel, pas de traitement, pas d’explication fiable et pas de tamis de Socrate : avec le virus nous manquons vraiment de tout. Et ce n’est pas fini. Mais Socrate est encore parmi nous : il nous a appris à nous questionner les uns les autres, à passer la bêtise au filtre de notre non-savoir. Sur la place publique, collectivement. Avec humilité.

Eluard : « Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits. »
Wittgenstein : « Ce qui ne peut être dit clairement et ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »
Hugo : « C’est fou le nombre de critiques que peut contenir un imbécile. »