SARTRE A VENISE (22 mars 2022)

         Nous abordons aujourd’hui l’ultime étape de notre voyage en Italie en compagnie de quelques hautes figures de la pensée. Aujourd’hui nous mettons nos pas dans ceux de Sartre et nous filons à Venise pour une dernière et étrange station. Étrange parce qu’a priori on imagine mal le philosophe engagé en touriste tranquille sur le Rialto ou la place Saint-Marc. Le choc des images est immédiat. Le décor de Sartre, c’est la rue parisienne pour la vente de Libé, l’entrée de l’usine mégaphone en main. Ou alors les caves de Saint-Germain pour des nuits enfumées et alcoolisées. Le bar des Deux magots, tout près de chez lui dans le VIe arrondissement de Paris, en pleine séance d’écriture et d’extase philosophique existentialiste. Venise et Sartre, ça ne colle pas.

         Et pourtant…le penseur intenable et infatigable éprouvait pour la Sérénissime une attirance puissante qui s’est manifestée tout au long de sa vie. Elle commence dès 1934 avec un premier voyage en compagnie de Simone de Beauvoir. « Venise est une des seules villes qui me donne l’impression d’y avoir vécu. En 1934, j’y étais fou et malheureux, je m’y suis promené toute une nuit, poursuivi par un homard considérable qui tricotait des pates derrière moi. Je n’ai jamais de ma vie VRAIMENT pensé au suicide mais cette nuit-là je craignais d’y penser. »

        Excès d’alcool et d’amphétamines, sans doute, qui à Venise comme ailleurs a longtemps soumis Sartre à des hallucinations prodigieuses. Mais ce n’est pas pour un trip de ce type que Sartre vient à Venise. Inutile pour cela de quitter Paris. C’est toute sa vie qu’il fréquente la Cité des Doges. Il s’y trouve encore en 1977, devenu quasiment aveugle. Dans Laideurs de Sartre Simone de Beauvoir, qui s’est livrée jusqu’à la fin à une implacable description du déclin physique de Sartre, écrit : « il passait la plus grande partie de son temps dans sa chambre : je lui faisais la lecture. Quand il dormait l’après-midi ou écoutait de la musique sur son transistor, je sortais avec Sylvie. Il m’a tout de même dit en partant qu’il était content de son séjour. »

Sartre débarrassé des homards de ses hallucinations, on peut le croire. Mais Sartre simplement banalement content, apaisé, cela est plus difficile à concevoir…         Toujours est-il que Sartre semble trouver à Venise une sorte d’échappée personnelle, un espace transitionnel. Il n’y est plus le Sartre aux deux visages, mondain ou combatif. Il pratique ce qu’il appelle une « littérature dégagée ». Il se promène sur les quais, boit le café sur la place Saint Marc, visite les églises, les îles, La Giudecca, Murano… C’est un touriste comme les autres, un touriste qui vaut tous les autres. Banalisé. Un génie littéraire en vacances. Une sorte d’étonnant non-Sartre.

Mais avant de tenter de jeter quelques lumières sur cette étrange déviation, il faut rappeler quelques généralités sur le voyageur Sartre.

 

Les papiers du voyageur

Né en 1905 à Paris, dans une grande famille bourgeoise, Sartre est une figure marquante, la plus haute sans doute de la vie intellectuelle française d’après-guerre et jusqu’aux années 80. Ecrivain prolifique il est l’auteur d’une œuvre romanesque importante avec en tête de gondole La Nausée (1938) ou Les Chemins de la Liberté, et d’une œuvre de théâtre considérable (Huis clos, la P…respectueuse, Les Séquestrés d’Altona). Nouvelle (Le Mur), critique littéraire, biographie (Flaubert, Saint Genet), Sartre maîtrise tous les claviers de l’expression littéraire. Cette œuvre lui a valu en 1964 le Prix Nobel de Littérature qu’il a refusé.

C’est aussi un immense philosophe, fondateur de ce qu’on a appelé l’existentialisme français. L’Etre et le néant (1943), l’Existentialisme est un humanisme (1946), Critique de la raison dialectique (1960) sont les textes majeurs de son itinéraire philosophique.

Sartre est également la plus franche incarnation de l’intellectuel engagé. C’est un compagnon de route du Parti communiste jusqu’à l’intervention soviétique à Budapest en 1956. Il devient ensuite puis proche des mouvements gauchistes, tendance maoïste. Guerres d’Algérie, d’Indochine, du Vietnam, conflit israélo-palestinien, boat people, dissidents soviétiques…Aucune des grandes causes de la gauche militante ne lui est étrangère. Journaliste de combat, il est un des fondateurs de la revue les Temps modernes et de Libération.

Alcoolisme, drogue, couple littéraire avec Simone de Beauvoir avec conquêtes féminines et divers ménages à trois…les différents aspects transgressifs de sa vie, en rupture avec la morale bourgeoise de l’époque ont contribué à façonner un personnage public fascinant, suscitant des passions contraires.

Comme tous les penseurs d’exception, Sartre, laisse des formules éclatantes mémorables : « L’enfer, c’est les autres », « l’existence précède l’essence », « l’homme est une passion inutile », « l’homme est condamné à être libre », « l’homme est ce qu’il se fait », « l’homme est responsable de ce qu’il est », « être libre, ce n’est pas faire ce que l’on veut, mais vouloir ce que l’on peut », « j’étais de trop et pour l’éternité. »

C’est cet homme hors du commun qui succombe au charme de la Sérénissime la première fois après la trentaine, mais surtout dans les années cinquante quand il a déjà écrit ses livres majeurs. Un texte écrit dans une prose magnifique en 1953, Venise de ma fenêtre, sorte de courte méditation condense cet attachement. Pour en saisir le sens et en apprécier les surprises, il faut au préalable lui donner du contexte et rappeler les grandes lignes de la philosophie sartrienne. Nous ne pourrons ici couvrir les différentes phases d’une pensée qui se déploie et s’enrichit durant un demi-siècle. Nous nous focaliserons sur ce qui apparaît comme un fil rouge qui court tout au long de l’œuvre : un questionnement sur la subjectivité.

L’existentialisme sartrien

Sartre est la figure de proue de l’existentialisme français. Sa philosophie s’alimente à deux sources principales : la phénoménologie de Husserl et l’existentialisme de Heidegger.

La phénoménologie est un courant philosophique qui s’est développé en Allemagne au début du XIXe siècle. Le terme est forgé à partir du mot grec phainomenos, ce qui est montré, ce qui apparaît. Les idées viennent-elles du monde par l’intermédiaire des sens, comme le soutient le matérialisme et l’empirisme ? Ou bien la pensée a-t-elle des catégories qu’elle projette sur le monde comme l’estime la position idéaliste ?

Dans ce vieux débat, la phénoménologie apporte une approche nouvelle. La pensée n’approche pas la vérité des choses en soi. Elle n’a devant elle que des phénomènes, un monde qui se manifeste. Mais le monde des objets et celui du sujet ne sont pas séparés. On ne trouve pas un monde extérieur et un monde intérieur qui se feraient face. Certes, il n’existe pas un monde sans une conscience pour le recevoir, mais cette conscience est immergée dans le monde. Ce n’est pas une conscience pure, coupé du monde et du corps, flottant comme le cogito cartésien dans son espace isolé et fermé. « Toute conscience est conscience de quelque chose », nous dit Husserl.

Ce quelque chose, quel est-il ? Il est toujours l’objet d’une visée, d’une intention. Pensée, désir, action, volonté, sont animés par une intentionnalité qui les jette vers le monde. La phénoménologie de Husserl entend donc revenir aux choses mêmes, étudier leur mode d’apparition, écarter toutes les idées que nous en avons, elle se focalise sur cette intentionnalité qui toujours pousse vers le  monde.

Heidegger, qui a été l’élève de Husserl, va s’engager dans une voie différente. La philosophie selon lui, n’a pas à être une théorie du monde ou de la conscience. Elle doit se centrer sur ce qui fait le propre de l’homme : son existence. L’intentionnalité, ne peut concerner que ce qui fait la condition humaine, que ce à quoi l’homme est voué et qui fait son souci permanent : l’existence. L’homme est celui qui est présent, il se manifeste à lui-même. Il n’échappe pas à cette présence qui le voue et le cloue au monde. Heidegger le nomme Da sein, être-là. « L’homme est un être-dans-le-monde. » L’être humain tire son être d’être là, d’être présent au monde et à lui-même.

L’intentionnalité est donc un souci. « L’homme est un être du souci. » Des moyens de sa survie, à ses intérêts spirituels, en passant par son angoisse, l’homme n’échappe pas à cette focalisation permanente sur son existence. Il connaît la réalité de son existence, elle est finie, elle est nouée au temps. Le temps l’habite et la définit. « L’homme est un être pour-la-mort ».

Déjeté par son souci, emporté par le flux de l’existence, l’homme oublie le sens de l’être dans un monde de facticité et d’inessentiel. Sa mission philosophique doit être de se tourner vers l’être, d’aller vers lui, d’en saisir la manifestation lumineuse, les éclaircies, le sens, comme en témoigne la création artistique et plus encore la poésie.

La philosophie de Sartre chemine à partir de ces deux sillons qu’elle rapproche : la phénoménologie de Husserl et l’existentialisme de Heidegger.

Une philosophie de l’existence

Ainsi jetée dans le monde, la conscience n’est pas un sujet extérieur à lui, qui dominerait ce monde, le définirait et s’auto-définirait. « L’existence précède l’essence » la formule signifie que l’existence est chronologiquement première. Une conscience qui n’existe pas n’est pas concevable. Mais elle exprime aussi qu’il est impossible de donner une essence à l’homme sans partir de cette existence. L’existence est première dans le sens où elle est une condition pour penser l’essence de l’homme. « Cela signifie, écrit Sartre dans L’existentialisme est un humanisme, que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde et qu’il se définit après. »

Dans le contexte d’un existentialisme athée comme celui de Sartre, l’homme n’est pas une âme, une créature.    Il n’a pas une nature particulière éternelle et universelle. Il existe avant d’être définissable ou défini.  On ne peut pas l’enfermer dans un cadre. Il ne résulte pas d’une conception qui lui préexiste. Son destin n’est jamais fixé, écrit d’avance. « L’homme est ce qu’il se fait. » Sa vie résulte d’actions, de valeurs, d’une morale, qui elles-mêmes résultent de choix y compris de ceux qu’il fait s’en rendre compte ni sans les reconnaître. Ces choix il les opère dans un milieu humain, il choisit et « se choisit par rapport aux autres. »

Dans son ouvrage philosophique majeur L’Etre et le néant, Sartre se focalise sur la relation de l’homme à son existence. Il distingue deux régimes d’être à la fois liés et absolument opposés. L’en soi et le pour soi. L’en soi désigne le monde des choses. Les choses sont là, elles sont posées dans l’être sans avoir un rapport à elles-mêmes. Une porte est une porte. L’être est, il est ce qu’il est.

L’homme, au contraire, a une conscience qui le rend présent à lui-même. Il vit « pour soi ». Il est dans le monde, mais en même temps, il s’en arrache par sa différence, il « se désenglue de l’être ». Il a rapport à soi. Dans sa présence et dans l’intérêt qu’il doit lui porter. Ce faisant il introduit dans le monde une réalité qui ne s’y trouvait pas : le néant. « L’homme est l’être par qui le néant vient au monde. » Le néant n’a de sens que par rapport à l’homme, à son désir à ses attentes. C’est lui qui le fait éclore. Cela s’atteste dans des situations très concrètes. Je m’attends à trouver Pierre, il n’est pas là. Et quand je demande s’il est là, j’envisage qu’il puisse ne pas y être. Le sujet produit le possible, il produit le néant.

Mais à travers l’expérience humaine le néant se manifeste de multiples façons au quotidien : Le divertissement, l’absence, l’altération, la répulsion, le regret, etc. sont habités par la négation : ce sont des négatités.

On a donc, d’un côté le monde de l’en-soi, compact, fermé, que La nausée comme décrit comme une masse d’être menaçante. Roquentin parle d’une grosse bête immobile. L’être est une présence totale, infinie, impressionnante, qui rejette l’homme qui fait de lui « un être de trop pour l’éternité. »

En face, hors de lui par le recul qu’il peut prendre, se trouve l’homme. Mais l’homme par la simple conscience qu’il a de lui-même, se distancie aussi de lui-même. Il ne coïncide jamais avec lui-même ni sous le rapport de la connaissance, ni sous celui de l’existence. Comment illustrer cette non-coïncidence ?

Dans une page célèbre de L’Etre et le néant, Sartre observe un garçon de café, tout entier dans son activité. Il joue avec ses gestes, ses déplacements, son rôle, comme un acteur. « Le garçon de café joue avec sa condition pour la réaliser ». Pourtant, parallèlement, du dedans le garçon de café ne peut être immédiatement garçon de café, au sens où une chose est une chose entièrement décalquée sur elle-même, enclose dans son unité. Il est une représentation du garçon de café, pour les autres et pour lui-même. Il ne peut l’être qu’en représentation. « Il n’est pas ce qu’il et il est ce qu’il n’est pas. » À l’image célèbre de ce serveur de café qui croit se confondre avec sa représentation, l’homme ne se correspond pas, ne coïncide pas avec lui-même. Sa conscience d’ailleurs n’a pas de réalité, elle est n’est pas un objet, elle est vide, comme un réceptacle de néant, un néant actif, en mouvement dans le milieu de l’être. Se représenter, c’est se séparer, ne pas être. « Je suis séparé par rien, mais ce rien m’isole de lui, je ne puis l’être, je ne puis que jouer à l’être, m’imaginer que je le suis. »

  

Une philosophie de la subjectivité et de l’intersubjectivité

Sartre dès ses premiers écrits cherche à élucider la nature de la conscience. Dans un de ses premiers ouvrages, La transcendance de l’ego, il pose une conscience toujours jetée dans le monde. Elle existe, elle sort de soi, elle se transcende. « La conscience s’éclate vers ». La conscience est un mouvement entier, irréfléchi qui me pousse vers le monde et les autres.

Mes états – l’amour, la haine- ou mes qualités – amant, ennemi- ou mes actions sont des objets dans le monde. Tout mon ego, tout mon moi est hors du moi. Le Je assure l’unité des actions et le moi assure l’unité des états et des qualités. L’unité du moi n’est pas la réflexion qu’il fait sur lui-même, elle est dans son flux. Tout au contraire, l’être conscient se constate toujours « à distance de soi », dans le constat d’une non coïncidence avec soi. Conscience d’une distance nulle donc que Sartre nomme néant.

Première conséquence : il n’existe pas de vie intérieure, d’intimité de la conscience. La conscience est extériorité. Toute la matière du moi n’est faite que de représentations. Deuxième conséquence : mes états, mes sentiments, mon moi lui-même, ne sont pas ma propriété. Dans Saint Genet comédien et martyr, Sartre résume la situation dans une formule éclatante : « Il n’est permis à personne de dire moi. Les meilleurs, les plus libres peuvent dire j’existe, c’est déjà trop. » Le moi devient le simple support d’états et d’actes.

Bien entendu, de tous ces états, qualités, actions, valeurs, j’ai conscience, je peux les reprendre après coup. Mais cette conscience réfléchie, parce qu’elle n’est plus dans le monde, n’est rien en elle-même. Elle est vide. « Le moi n’est pas propriétaire de la conscience, il en est l’objet. » Elle est inutile.

C’est une thèse philosophique qui met à bas l’approche idéaliste de la conscience. La subjectivité sartrienne est une subjectivité en acte, un élan spontané vers le monde. « La transcendance est la structure constitutive de la conscience. » Une transcendance non pas verticale, mais horizontale, sans connotation spirituelle.

La réflexivité de la conscience, dégagée par Socrate (connais-toi toi-même), son pouvoir de donner l’existence (Je pense donc je suis), son caractère absolu (Hegel) laissent place à une subjectivité engagée dans le monde, sous le regard des autres et qui se définit par ce qu’elle fait. Sartre s’est inspiré de la phénoménologie de Husserl (la conscience est toujours conscience de quelque chose, elle est orientée, animée par une intentionnalité qui la jette à l’extérieur d’elle-même.

Mais, même jetée dans le monde, la subjectivité est d’emblée ouverte à d’autres. Elle est intersubjectivité. Dans la relation à l’autre le moi découvre qu’il peut être non plus un sujet mais un objet.

Le texte célèbre de l’expérience de la honte résume la situation. Je colle mon oreille contre une porte, ou j’épie par le trou de la serrure. Je suis alors tout entier dans mon occupation. Je me confonds avec elle. Je la suis. Dans mon esprit. Il n’y a pas une conscience surplombant la scène du dehors. Je m’identifié à cette conscience irréfléchie. Quelqu’un survient. Je me vois alors tout autrement, comme un moi en train de faire quelque chose, je deviens un objet pour un autre et un objet pour moi. Ma conscience irréfléchie était conscience du monde. La conscience de ce que je fais, m’est donnée par autrui. « C’est la honte ou la fierté qui me révèlent le regard d’autrui et moi-même au bout de ce regard, qui me font vivre, non connaître la situation de regardé. »

Non seulement la subjectivité n’est pas réflexive, elle jetée vers le monde, transcendance, mais elle porteuse d’intersubjectivité. Pour Sartre autrui est un révélateur de néant. Il me fait objet sans que cet objet je puisse l’être réellement. Ainsi chacun ne peut être sujet qu’au détriment de l’autre. Et cette situation est à l’origine du conflit des consciences.

Une philosophie de la liberté

Mais le vide du néant ouvre aussi l’espace de la liberté. Pour Sartre la liberté n’est pas une propriété, un état de la condition humaine, c’est son contenu, son essence, son « étoffe » C’est même son destin : « L’homme est condamné à être libre ». Il y a une équation entre être et être libre. Si l’homme est ce qu’il se fait, alors il est libre de choisir sa conduite ou son engagement dans le monde. Il se fait lui-même, « l’homme invente l’homme », l’existence est une autocréation, c’est un engendrement de soi par soi. De la même façon que la conscience s’éclate vers le monde, l’homme se jette dans l’avenir. « Il est d’abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d’être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur. »

Certes, il le fait en fonction des contraintes de sa condition, de son sexe, de sa classe, « être libre, c’est vouloir, ce que je peux » , mais tous ses choix l’engagent et ils l’engagent devant les autres, sans excuses et sans secours. Il ne peut pas ne pas choisir. Son absence de choix en est encore un. Et ses choix ne sont jamais des choix gratuits, aléatoires, puisqu’il doit toujours en répondre devant les autres.

Je peux chercher à éviter la responsabilité qui me situe face aux autres. Par peur ou par angoisse. Je peux croire à la nécessité de mes conduites. Mais je suis alors de mauvaise foi. Les « lâches » sont ceux qui cherchent à se dédouaner en expliquant leur choix par la faiblesse humaine (les passions, le corps, la fatalité). Les « salauds » sont ceux qui pensent que tout ce qu’ils ont fait était nécessaire.

L’homme est donc libre, il ne vise qu’à la liberté et ceux qui opposent un déterminisme quelconque à sa liberté sont de mauvaise foi. Ils ont le droit de l’être mais il se trompent et se trompent eux-mêmes. L’authenticité sera alors de conduire son existence selon les exigences de la liberté.

Ainsi on voit l’extrême insistance et l’extrême cohérence d’une philosophie de la subjectivité à laquelle Sartre ne dérogera jamais. Refusant l’étiquette de philosophe bourgeois, c’est au nom de cette liberté et de cette responsabilité individuelle qu’il s’opposera à l’idéologie communiste totalitaire.

Il définira ainsi son existentialisme comme un humanisme… « Humanisme parce que nous rappelons à l’homme qu’il n’y a pas d’autre législateur que lui-même et que c’est en cherchant hors de lui un but qui est telle libération, telle réalisation que l’homme se réalisera précisément comme humain. »

Cette philosophie de la liberté s’exprime dans un engagement, radical, de tous les instants, à la fois politique et littéraire : « la littérature efficace, c’est la littérature qui entraîne l’homme vers l’amélioration de la condition des hommes et vers l’humanité » — « En un mot, nous devons dans nos écrits militer en faveur de la liberté de la personne et de la révolution socialiste »

Venise de ma fenêtre

         Que va faire ce penseur anti-bourgeois engagé dans la munificente cité des doges ? Comment Venise transforme-t-elle la star de la philosophie française en touriste passionné et fidèle ? Pour tenter de répondre à ces questions il faut se focaliser sur deux textes. Un projet de livre, resté à l’état de manuscrit et ce qui pourrait en être un fragment qu’on trouve dans Situations IV.

Le projet de livre a pour titre La reine Albemarle ou le dernier touriste. Titre double, énigmatique, évoquant un personnage fictif, désignant aussi bien un mythe littéraire personnel. Mais qui peut marquer en même temps une volonté d’en finir avec le cliché du touriste, auquel Sartre s’identifie quand il est en Italie. Ce texte jamais publié, se voulait peut-être une version sartrienne du standard littéraire un voyage en Italie. Simone de Beauvoir apporte toutefois dans La force de l’âge une information intéressante selon laquelle la Reine Albemarle devait être « sa Nausée de l’âge mûr. » La Nausée à Venise ? Dans la ville de toutes les beautés ?

Sartre abandonne ce projet conçu au début des années cinquante. Mais il nous en reste ce qui pourrait en être un fragment, un texte bref mais magnifique écrit en 1951-52, qu’on trouve dans Situations IV et qui s’intitule Venise de ma fenêtre.

 

Un lieu irréel

Que voit-il de sa fenêtre, le philosophe au regard de bigle ? Sartre décrit Venise comme un lieu toujours d’ailleurs. « Il fait froid, une fois de plus Venise se prend pour Amsterdam. » Ou encore « La vraie Venise, où que vous soyez vous la trouverez toujours ailleurs. Pour moi, du moins, c’est ainsi. » « Si je ne me retenais pas, je serais à chercher la Venise secrète de l’autre bord. » Et aussi « L’autre Venise est au-delà de la mer ».

On pourra comparer avec la présence frontale de Bouville la ville de La Nausée, nue, froide, pesante. Bouville était là. Inévitablement là. Venise est ailleurs, elle s’échappe, toujours au-delà d’elle-même. C’est la ville du dépaysement absolu sans doute, mais c’est aussi la ville de l’utopie où Sartre se livre sans entrave à la fonction irréalisante de l’imagination. D’une manière immédiate, Sartre ne décrit pas ce qui saute aux yeux à Venise, la splendeur des palais, le grand canal qui court vers la lagune. La ville se déréalise.

Par quel miracle ? Quel prodige ?  Cette déréalisation s’accomplit dans l’apparence, elle est le produit du jeu des éléments : « C’est comme ça ici : l’air, l’eau, le feu et la pierre ne cessent de se mélanger ou de s’intervertir, d’échanger leur nature ou leurs lieux naturels, de jouer aux quatre coins ou au chat perché. »

Ainsi l’espace verse dans un « composé instable », où le ciel prend la place de l’eau. « L’eau est trop sage, on ne l’entend pas. Pris d’un soupçon je me penche : le ciel est tombé dedans. » Mais le ciel à son tour ressemble à un gouffre à l’envers. « Non, il n’existe qu’un trou là-haut, vertigineux, sans ténèbres ni lumière. » La lumière produit des « clartés sans haut ni bas. » Les Palais émergent dans un élan figé, ils se dressent dans un « rejaillissement d’eau pétrifiée. » Les rives se reflètent l’un l’autre comme des miroirs, il n’y a plus non de droite ni de gauche, plus de latéralisation possible. Ce grand mélange retourne la logique et les repères mentaux.

Sartre aborde le Palais Dario. « J’ai toujours le sentiment qu’il est là, oui, bien là mais qu’en même temps il n’y a rien. » « A travers les grandes lagunes grises qui le criblent, je vois briller le ciel au-dessus de l’eau. Entre les deux quais, il n’y a rien. Une écharpe transparente jetée sur le vide. » Le néant n’est plus dans la conscience, il palpite au sein du monde.

Nous sommes loin du face-à-face avec ce milieu d’être qui cimente le monde extérieur. Nous sommes aux antipodes de Bouville qui livre l’existence comme « la pâte même des choses », comme des masses monstrueuses et molles en désordre, nues, d’une effrayante et obscène nudité. »

À la différence radicale des analyses de L’être et le néant, le non-être n’est plus le privilège de l’homme, il s’inscrit tout seul au cœur de l’être, il s’y produit sans intervention d’une conscience néantisante. Et le monde de l’être qui n’était qu’apparaître, manifestation, n’est plus rien. Il sort de la scène de l’être, il disparaît. Avec cette vision d’un retour de Murano : « plus de Venise. »

Etrange espace déstructuré, déconstruit, il n’y a plus ni haut ni bas, ni droite ni gauche, les éléments s’inversent. Mais le temps également se résorbe. Venise, « c’est le contraire de l’histoire. » La cité lagunaire ne laisse aucune prise au temps. Elle le fige, le pétrifie sans même donner de place au présent.

Ainsi l’en soi perd sa stabilité. Il se floute, il joue avec le non-être. Un voile d’imaginaire recouvre la réalité comme s’il subissait « l’entraînement d’un illusionniste. »

 

Un sujet qui s’égare

Dan un tel décor, le « pour soi » perd tous ses repères. La présence à soi se perd et se dilue dans le paysage maritime et aquatique. « L’eau est folle ». « L’eau, c’est l’esprit à l’envers ». L’eau c’est le changement, le devenir, catégorie exclue de l’ontologie sartrienne qui ne reconnaît que deux pôles : l’être et le néant. D’où la métaphore d’une conscience qui coule : « je m’enfonce, je m’engloutis. » Sartre, c’est mort à Venise dans l’élément liquide. L’eau dissout dans un même mouvement la massivité de l’être, l’indubitable présence à soi, elle abolit leur séparation. La présence au monde de l’Etre-là n’est plus tenable.

Sur terre, ce n’est pas mieux. Venise devient « un labyrinthe pour escargot. » Pas question à Venise de structurer un quelconque projet qui organiserait le futur et préparerait l’action libre. L’espace se referme sur lui-même dans un dédale qui ne laisse aucune place à l’entreprise, à l’engagement. Et le pour soi ressemble à un gastéropode, lent, collé au sol et dont la coquille en colimaçon renvoie en miroir l’image d’une spirale enroulée sur elle-même. Plus d’invention, plus d’engagement possibles. La pensée colle au méandre du Grand canal, au rhizome des canaux secondaires qui sillonnent la cité lagunaire. Elle se perd, erre sans but, sans projet.

La psychologie de Sartre s’en trouve profondément troublée, remaniée. « D’habitude, écrit Sartre, je me contente de ce que j’ai. Ici, je suis d’une folie jalouse. » À Venise, Sartre perd la tête. Son identité s’évapore. Venise devient la ville de l’altérité. « En face moi : l’Autre. L’autre trottoir, l’autre berge. » « De toute façon, c’est l’Autre. ». Dans la cité des Doges, Sartre ne rencontre pas les autres, il ne traite qu’avec la ville, jamais avec des habitants avec lesquels il partagerait un projet révolutionnaire. Il n’a pas plus rendez-vous avec un autre lui-même. Venise n’est pas le théâtre d’une introspection nouvelle, une étape où Sartre trouverait un lieu pour renaître ou se transformer. C’est le lieu de l’altérité absolue.

« Une autre mémoire hante la mienne, les souvenirs d’un Autre surgissent en face de moi. » Étrange phénomène de délaissement de soi, de dépossession. Sartre s’approche-t-il d’un miroir ? Il s’y reconnaît. Il devrait s’y reconnaître. Car quelque chose dans l’image renvoyée diffère radicalement comme « si on avait mis un autre dans le miroir à la place de mon reflet. » Dépersonnalisation, mais aussi dédoublement. Ouvre-t-il sa fenêtre ? Son regard tombe sur une autre fenêtre du palais d’en face qui s’ouvre elle aussi, au même moment comme un double de la sienne. S’attend-il à s’y voir paraître emporté par son hallucination ? C’est une femme qui apparaît !

Arrêtons-nous un instant sur la scène du miroir. Et comparons-là à celle, célèbre, décrite dans La nausée « Au mur il y a un trou blanc, la glace. C’est un piège. Je sais que je vais m’y laisser prendre. Ça y est. La chose grise vient d’apparaître dans la glace. Je m’approche et je la regarde, je ne peux plus m’en aller. C’est le reflet de mon visage. Souvent dans ces journées perdues, je reste à le contempler. Je n’y comprends rien, à ce visage. Ceux des autres ont un sens. Pas le mien ».

La question que soulève Roquentin n’est pas celle de la reconnaissance de l’identification de soi par soi. Mais celle du sens. Le visage devient chose dès lors qu’il est extrait d’une relation humaine qui lui donne un sens. On sait chez Sartre l’importance du regard d’autrui dans la découverte de sa laideur ou encore dans l’expérience de la honte. Être, c’est apparaître, c’est être vu, entrer dans le regard d’autrui. L’intersubjectivité prévaut sur la subjectivité. C’est que révèle l’expérience de la honte décrite dans L’Être et le néant. Autrui est un catalyseur qui me permet de prendre conscience d’un sentiment que je vivais en premier lieu dans une pure passivité. C’est par l’autre que mon attitude reçoit son véritable sens.

La scène de Venise est totalement différente. Sartre y entrevoit, non pas son visage ni une chose, mais le visage d’un autre. Et ce visage s’estompe au profit d’une silhouette de femme. Désir d’une femme capable de détourner de l’aspiration narcissique ? Désir de devenir cette femme aperçue, de changer d’identité ? De genre ? Chacun lira ici ce qu’il veut.

Et toutes ces variations névrotiques interviennent dans le décor d’une ville emportée elle-même dans sa propre altérité. Cette altérité radicale renvoie Sartre à une solitude ontologique. Les palais forment un monde qui se dresse comme une pensée au milieu d’un désert. « Je ne suis pas dedans. » Roquentin et plus largement l’homme existentialiste sont immergés dans l’existence. Le touriste Sartre en est expulsé. « Je sens très doucement, très perfidement mon abandon. »

 

La possibilité d’une autre vie ?

Que cherche Sartre à Venise ? Que trouve-t-il ? De toute évidence, le texte de la méditation « Venise de ma fenêtre » crée une disruption avec le Sartre tel que nous le connaissons, tel qu’il était, tel qu’il était devenu sur la scène littéraire et politique. Dans le lieu de l’altérité qu’il voit en Venise, il perd son être-là, sa psychologie, sa philosophie, son engagement politique, sa célébrité. Il est ailleurs, dans un monde imaginaire. Il n’est plus lui-même. Il devient autre ou se rêve autre.

Mais c’est là aussi, dans une expérience vécue, ou en tout cas narrative, qu’il réalise, qu’il incarne sa formule : « l’homme n’est pas ce qu’il est et il est ce qu’il n’est pas. » Le sens paradoxal de cette formule devient singulièrement lumineux. À Venise, Sartre n’est pas Sartre, il est un autre Sartre, un non Sartre, une négation de Sartre.

Mis en regard de Venise de ma fenêtre, un texte de la Reine Albemarle, le roman inachevé qui devait être La nausée de la maturité lève un voile sur le mystérieux touriste vénitien. « Mais quel père détester à Venise ? Orphelin de père, le touriste s’égare. J’ai perdu ma visibilité…la ville me cache. Et qui me verrait ? J’entends quelquefois des pas. Je me retourne : personne. Que reste-t-il d’un homme quand il n’est pas vu ? »

         Sur les quais et dans venelles de Venise, Sartre échappe au regard. Il esquive la célébrité et à ses contraintes. Mais plus encore qu’à son personnage, c’est à lui-même qu’il échappe. « Touriste, nous revenons à la petite enfance d’avant le sevrage, à cette enfance muette sans carapace ni corset, où nous vivions dans une confusion charnelle un peu moite, où nous étions objet en personne. »

Sartre n’a pas besoin de psychanalyste pour dévoiler lui-même ce qu’il trouve ou plutôt retrouve à Venise. C’est un espace régressif, le monde de la fusion première avec la mère, le temps où l’on est protégé, où l’on baigne dans l’imaginaire, avant le langage articulé, avant aussi le regard assassin d’autrui. Un monde où la conscience et la chose se confondent. La Sérénissime est la métaphore de cet enroulement, de cet englobement. Elle se fait mère, matrice.

Ainsi Sartre ne serait pas complètement dupe de son expérience vénitienne. Et les textes confirment la part d’artifice littéraire, de création poétique dans la vision de Venise. D’ailleurs ces textes sont parfaitement en ligne avec la conception de l’imaginaire qui est la sienne. L’imagination selon lui a pour fonction d’introduire le non-être dans l’être. Imaginer un centaure, c’est introduire dans le monde une animal surnaturel, quelque chose qui n’existe pas.

En 1957, Sartre écrit Le séquestré de Venise un texte consacré au Tintoret. Il souligne les relations conflictuelles du peintre avec sa ville. Il voit en lui le peintre bourgeois dressé contre l’aristocratie. On y lit : « Qu’est-ce qu’ils sentent, les canaux croupis avec leurs cressons de pissotières et ces moules grises, dans la gangue sous les quais d’un infâme mastic ? Au fond d’un rio, il y a une bulle, collée à l’argile, le remous des gondoles la détache, elle monte à travers l’eau terreuse, affleure à la surface, tourne, scintille, crève en lâchant une vesse et tout crève avec elle : les nostalgies bourgeoises, la grandeur de la République, Dieu et la peinture italienne. » 

Le Sartre vénitien, est un Sartre imaginé, un Sartre possible entre deux livres, deux femmes, deux combats. Un Sartre entrevu par-delà une fenêtre. Un Sartre qui ne sera pas. Et les derniers mots de la médiation nous laissent à notre tour imaginer. « Je relève les yeux : tout est redevenu pareil. J’ai besoin de lourdes présences massives en face de ces fins plumage peints sur vitre. Je sors. » On laisse là le touriste existentialiste, sur ces mots ambigus, sur son propre délaissement. Comment entendre ce « Je sors » ?  À Venise, je sors de moi-même, ego livré à sa transcendance dans le monde. Je me perds. Ou alors, je cesse d’écrire, je quitte ma chambre et je vais dans le monde vénitien redevenir ce que ce que j’ai été. Ou encore : je sors de ma rêverie et je retourne au combat. Par la grâce d’une prose aussi sublime que le décor qui l’inspire, l’être et le non-être se réunifient. Ou se séparent dans l’inachevé ? « Avec la Reine Albemarle, j’ai voulu quelque chose et puis j’ai abandonné. »

 

Sur cet énigmatique abandon, cet inachèvement existentiel et philosophique, prend fin le cycle de Philosophies en Italie 2021-2022 qui se voulait une exploration du voyage en Italie et du voyage tout court. Les péripéties d’Ulysse sur les îles et les rives de la Grande Grèce nous ont rappelé la fonction initiatique du voyage. Dans son errance Ulysse s’écarte de son but mais il investit un monde inconnu, un monde barbare. Un monde imaginaire peuplé de monstres et de dieux. Son Odyssée lui enseigne les fondamentaux de la condition humaine et lui permet de se transformer. À travers ses épreuves il gagne en lucidité.

Avec Montaigne, nous avons goûté les charmes du voyage comme art de la curiosité. Dans son séjour d’un an et demi en Italie, entre cure thermale et traitement de sa mélancolie, Montaigne a mis au point une thérapie à la fois physiologique et psychique. Le voyage était ouverture simultanée à l’étrangeté du monde et à l’étrangeté de soi. C’était une école de diversité, une ouverture à des mœurs différentes dans un esprit de tolérance et d’humanisme. Une excitation de la curiosité.

Freud nous a entraînés sur le versant passionnel du voyage. Avec son mixage d’attraction et de répulsion. Roma/amor, la ville éternelle a palpité comme un théâtre intime où se nouait la métaphore de l’amour freudien.  Le voyage est venu s’entretisser avec la découverte et l’exploration de l’inconscient. La psychanalyse elle-même s’y révélait comme un voyage vers le passé psychique et l’élucidation de ses énigmes. Le voyage ne forge pas seulement la jeunesse. Il forge l’investigation, la créativité.

Sartre nous a poussés sur les voies surprenantes d’un existentialisme vénitien. La cité des doges s’y transforme en théâtre de masques pour l’être et le néant. Un lieu irréel où Sartre aurait pu être ce qu’il n’a pas été.

Tous ces voyages nous ont familiarisé avec le concept d’altérité et ses variations possibles. Altérité des territoires inconnus de l’Odyssée, à la fois réels et imaginaires. Altérité jouissive des cultures et de pratiques humaines avec Montaigne. Altérité de l’inconscient qui introduit une dimension nouvelle dans l’approche du psychisme aussi bien dans ses manifestations quotidiennes que pathologiques. Altérité de l’autre que soi, du possible avec laquelle Sartre nous familiarise.

En ces temps où la question de l’identité est devenue une obsession centrale et épuisante, identité individuelle, communautaire, nationale, ces voyages dans l’altérité sont loin d’être inutiles. Ils nous enseignent la nécessité et les bénéfices d’un décentrage. Amine Maalouf parle de la dangerosité potentielle des identités qui peuvent devenir « meurtrières ». L’identité est une panthère que chacun doit dompter et apprivoiser. Le voyage et la philosophie sont deux façons d’y parvenir. Mais, ne l’oublions pas, il existe aussi des voyages pervertis, prédateurs et destructeurs. L’invasion délirante de l’Ukraine en fournit un sinistre et cynique exemple. Les panthères aussi voyagent…