L’ODYSSEE, UN VOYAGE VERS L’HUMANITE

Voyage vers l’humanité itinéraire Odyssée

Conférence du 8 janvier 2022 au Centre culturel languedocien de Montpellier.

Voyage vers l’humanité

 

 

Parler d’Ulysse et de l’Odyssée, échanger autour d’une épopée de près de 2700 ans, à une époque où tout se vit au présent et pour le présent, peut paraître totalement anachronique ou déplacé. Prononcer le mot d’humanité à l’époque où l’on ne jure plus que par le transhumanisme et l’homme augmenté, semble totalement incongru.

Pourtant dans ce monde chaotique et illisible, il paraît indispensable et profitable de s’arrêter et de repartir un moment en arrière. Pourquoi ? Dans ses Considérations inactuelles, Nietzsche nous a alertés sur les risques d’un culte obsessionnel du présent : « Combien, au contraire, ceux qui n’ont pas le sentiment qu’ils sont les citoyens de ce temps ont le droit d’être pleins d’espérance. S’ils étaient de ce temps, ils contribueraient à sa destruction et périraient avec lui, tandis qu’au contraire, ils veulent éveiller le temps à une vie nouvelle, pour se perpétuer dans cette vie même. » Sortir de l’actualité, pour naître et pour renaître.

L’Odyssée fait précisément partie de ces grands textes qui ont aidé et qui aident encore à vivre. Pendant de siècles, et pas seulement dans l’Antiquité, les chants d’Homère ont servi de manuel d’éducation. Ils nous apportent des repères dans le brouillard, nous rassurent dans nos égarements. C’est en tout cas ce que j’ai trouvé dans la relecture de l’épopée d’Homère.

C’est une relecture personnelle que j’ai présentée dans mon dernier livre Ulysse et nous paru il y a presque un an aux éditions du Relié. Le titre résume bien une intention. Ce n’était pas simplement une récréation culturelle. Il s’agissait de voir si et en quoi les aventures extraordinaires du héros grec pouvaient encore nous éclairer sur notre errance actuelle.

Pour vous faire partager cette relecture, je procèderai en trois temps.

1/ La présentation du voyage d’Ulysse et des cycles d’initiation auxquels il nous invite.

2/ L’analyse de quelques étapes essentielles. En faisant apparaître le lien qu’elles entretiennent avec nos problématiques actuelles.

3/ Un éclairage sur le personnage d’Ulysse. Parce que par bien des aspects, il est très proche de nous, dans la structure même de son désir.

Ensuite nous pourrons échanger sur les impressions et les avis que mes propos auront suscités chez vous.

 

1/ Le voyage d’Ulysse et ses cycles initiatiques

 

Je n’étais pas satisfait par les dernières lectures à succès. Elles visaient à établir et à refaire l’itinéraire suivi par Ulysse. Quel intérêt ? Va-t-on retrouver la plage ou le personnage de l’Etranger de Camus devient meurtrier ? Le château de Kafka ? Le Combray de Proust n’est pas le Combray du Calvados. Homère et les aèdes ne sont sans doute jamais allés dans les contrées de la Grande Grèce où se déroulent les épisodes de l’Odyssée. L’Odyssée est un voyage imaginé, un voyage symbolique. Elle ne décrit pas un itinéraire mais une errance, celle de l’homme à la recherche de lui-même.

 

 

J’ai donc délibérément tourné le dos à la géographie pour m’attacher au sens, au sens que ce voyage pouvait avoir pour nous, aujourd’hui. Nous aussi nous avons nos épreuves, nos pièges, nos monstres, nos tempêtes et nos naufrages, nos pulsions et nos renoncements, aussi bien individuels et collectifs.

Quel est l’enjeu de l’Odyssée ? La perception commune voit dans l’Odyssée le voyage retour d’Ulysse vers sa terre natale. La philosophe Simone Weil a écrit que l’Iliade, l’autre grande épopée d’Homère « est le poème de la force ». Il n’y est en effet question que de conflit, de combat, de massacre avec un final quasiment génocidaire : la destruction totale de Troie. Le héros, tel que cette épopée le présente est un homme qui meurt au combat dans la fleur de l’âge. Achille en est l’archétype.

Avec l’Odyssée, un autre modèle est proposé. Homère isole un des acteurs de l’Iliade et, loin de le hisser au rang de héros, le ramène à son statut d’humain. Ulysse est un des personnages clés de l’Iliade, c’est un guerrier courageux, ingénieux – le cheval de Troie – un grand négociateur qui maintient l’unité de l’armée des Achéens. Mais ce n’est pas un héros. Il survit à la guerre.

« Le saccageur de ville », c’est un des surnoms d’Ulysse. C’est ce guerrier impitoyable que l’Odyssée tente de métamorphoser en être humain. Et cette transformation se déroule en deux séries d’épreuves, deux cycles initiatiques. Le premier consiste à réapprendre à Ulysse les fondamentaux de la civilisation grecque, le second se centre sur l’individu Ulysse pour lui apporter les repères personnels indispensables pour vivre une vie à hauteur d’homme.

Je ne peux ici résumer mon livre et encore moins les 12.000 et les 24 chants vers du poème et, rassurez-vous, je ne le tenterai pas. Je vais vous présenter de façon modélisée les deux voyages initiatiques emboités et me focaliser chaque fois 2 étapes.

2 /Le retour vers la civilisation

Le premier cycle de voyages présente quelques « fondamentaux » de la civilisation grecque et plus largement de la condition humaine : la transmission, l’hospitalité, la prohibition de l’inceste, l’interdiction du cannibalisme, l’animalité résiduelle.

 

 

Des étapes essentielles

Après le départ de Troie, Ulysse et sa flottille commettent un premier faux pas. Ils se livrent au pillage sur la côte des Cicones, un peuple allié des Troyens. C’est un faux pas, parce que Zeus, le roi des dieux, a décrété la fin des hostilités. L’affaire tourne mal, les Ithaquiens, doivent fuir. Ils subissent une première tempête qui les pousse chez les lotophages.

Les lotophages sont consommateurs du lotos, une plante étrange qui les apaise et les euphorise. On ne sait pas encore aujourd’hui de quelle plante il s’agit, si c’est un fruit ou une feuille qui est consommée. Mais Dans la culture grecque, le propre de l’homme, c’est le fait de manger du pain et de boire du vin. Les Lotophages s’ils ont apparence humaine, s’ils sont hospitaliers et bienveillants n’appartiennent pas au monde humain.

Le lotos a pour redoutable effet d’effacer toute mémoire de l’esprit. C’est le haschich de l’oubli. Ulysse doit aller lui-même récupérer les hommes qu’il avait envoyé explorer le rivage de Lotophages, victimes d’une dépendance immédiate fulgurante et il doit les attacher à fond de cale.

Le Lotos, c’est l’amnésie totale. Mais c’est aussi la chute dans l’inhumanité. La perte du sens. « Celui qui absorbe le Lotos cesse de vivre comme font les hommes et avec eux le souvenir et la conscience de ce qu’ils sont » commente Jean-Pierre Vernant (L’Univers, les dieux, les hommes).

Les Grecs avaient saisi le rôle capital de la mémoire. Dans leur mythologie, Mnémosyne, la déesse de la mémoire était une divinité très ancienne. Sans mémoire, il n’y a plus d’histoire humaine, plus de transmission. IL n’y a plus d’Ulysse il n’y a plus d’Ithaque, plus de provenance ni d’objectif. Il n’y a plus d’Odyssée, plus de récit, plus d’histoire. Bref, il n’y a plus rien qu’un grand vide, le néant.

L’Homme générique comme l’individu ont une mémoire, sont mémoire. C’est vrai encore aujourd’hui quand la technologie nous permet de stocker un volume d’informations quasi illimité. Cette mémoire devient quantitative, nous la confions à des machines. « Nous ne supportons plus la durée », écrivait déjà Valéry il y a un siècle. Nous ne supportons plus le passé. Notre temps unique est le présent, l’actuel. L’épisode des Lotophages nous conduit à ce premier questionnement : ne perdons-nous pas notre âme, notre identité et notre pensée dans ce vertige frénétique du présent ? Le présent ne se condamne-t-il pas à l’opacité, à l’illisibilité, à la confusion sans les lumières du passé ?

Passons directement à la dernière étape de ce premier cycle : la demeure de Circé. Circé est une divinité secondaire mais importante de la mythologie grecque. C’est une magicienne qui a le pouvoir de métamorphoser les hommes en animaux et les animaux en hommes. Elle transforme les éclaireurs d’Ulysse en pourceaux. Horreur extrême : ils sont pris dans des organismes animaux sans perdre leur pensée. Tel est l’homme : un animal en mutation, en évolution permanente. Mais aussi un être duel, réversible, instinctif et réfléchi, barbare et civilisé. Sapiens et bestialis. Circé est la figure révélatrice de de cette double métamorphose, effective et possible.

Le nom de Circé étymologiquement évoque l’oiseau de proie et ces rondes dans le ciel. La racine grecque dont il provient a donné cirque dans notre vocabulaire et aussi cycle et cercle. Le symbole de la métamorphose.

Quel enseignement retenir : que l’homme doit se trouver un sens dans un monde dont il fait partie. Il doit trouver sa place dans un monde de vivants qui excède sa propre espèce. Pour autant il en diffère et son évolution de sapiens montre qu’il ne cesse de s’extraire, de s’abstraire de son magma animalier. Dans le monde grec, l’homme avait sa place et devait y rester, entre les dieux et les autres espèces vivante. Il vivait dans un cosmos, un monde organisé, stable.

Aujourd’hui nous cherchons à nous resituer dans le monde vivant. Nous comprenons qu’après des siècles de rationalisme absolu, nous sommes des corps parmi les corps. Le virus aujourd’hui nous rappelle à cette humble réalité. Mais pour autant ne risquons pas de perdre notre spécificité dans le néo-naturalisme montant ? Nous connaissons les dangers qu’il y a à fondre l’homme dans la masse informe de la nature, de la race, de la biologie. Si nous oublions notre idéal d’humanité, qui fait partie lui aussi de notre condition alors fatalement nous régressons dans l’animalité voire le substrat biologique. Si nous refusons la raison, alors nous nous vouons au chaos. La question est aujourd’hui aussi devant nous. Nous ne parvenons pas placer le curseur.

3 / L’initiation à la vie individuelle

Le second cycle initiatique se centre sur l’individu Ulysse. C’est un apprentissage plus personnalisé de la condition humaine. Le demi-héros ne deviendra un homme qu’à travers une série d’épreuves individuelles. Il devra choisir la vie, piloter son désir, accepter de perdre, assumer la solitude, vivre en, mortel et parler en son nom.

 

 

Je m’arrêterai maintenant sur la première et sur la dernière étape du second cycle initiatique, le face à face avec les défunts et l’affirmation d’Ulysse comme être parlant

Après le séjour chez Circé, Ulysse doit se soumettre à l’épreuve dite de la Nekyia. Tiré de Nekus (mort), le terme provient de la même racine que Nécros qui a donné notre nécrologie. Le terme désigne un sacrifice d’évocation de morts. Il s’agit d’une technique mystérieuse de nécromancie.  Faut la distinguer de la visite aux Enfers, l’au-delà des Grecs. Seuls 3 héros effectuent la catabase, le séjour aux Enfers : Orphée, Héraclès et Jason.

Ulysse, ne va pas dans le royaume d’Hadès, il fait venir à lui les défunts au cours d’une cérémonie nommée la Nekya, qui s’effectue selon un rituel particulier : des libations de sang d’animaux dans un trou creusé à même la terre. Pour les Grecs, l’au-delà est une sorte d’aire de parking pour les âmes errantes des morts. Les âmes mortes sont décrites par Homère comme « des ombres qui volent », « des têtes vides » ou « sans forces » Celles-ci sont comme brûlées par un feu intérieur, desséchées, elles sont assoiffées et viennent boire le sang versé. Ulysse est comme au bord d’un étrange balcon, d’un amphithéâtre de spectres.

Au cours de cette étrange consultation, Ulysse fait trois rencontres décisives : l’âme de sa mère, celle d’Achille, celle d’Ajax. La première est bouleversante. Ulysse apprend que sa mère est décédée et qu’elle est morte de chagrin à cause de sa longue absence. À un moment donné, Ulysse, par trois fois tend les bras pour une dernière étreinte. Sa mère disparaît en lui rappelant que la mort est synonyme d’insensibilité, elle sépare les nerfs des muscles et des os. Elle dissout les corps et le geste d’Ulysse est inutile et absurde. « Hâte-toi au plus vite vers la lumière » : C’est la première leçon du monde des morts.

Deuxième leçon, celle d’Achille, le compagnon d’armes, mort au combat. Ulysse demande au héros s’il est devenu le chef du peuple des défunts. Achille répond qu’il préférerait être l’esclave d’un miséreux plutôt que mort. Les morts ne sont plus rien. L’être et la vie sont une seule et même chose. Il n’y a pas de victoire ni de pouvoir avec la mort.

Troisième leçon, celle que donne Ajax, un des meilleurs combattants grecs contre les Troyens. Ulysse s’était violemment disputé avec lui pour acquérir la cuirasse d’Achille. Ajax était entré dans une colère folle avant de se suicider. Ulysse lui demande de lui pardonner. Ajax répond qu’il n’a qu’un temps pour pardonner c’est celui de la vie.

Trois scènes pour un seul enseignement, une vie d’homme est celle où l’on choisit la vie, la vie ici et maintenant, où l’on ne s’enivre pas de rêves de gloire et où l’on est juste avec ses semblables. La vie qui a plaisir à vivre, qui est lucide et juste. Le seul bien véritable, c’est la vie et non la mort glorieuse, la belle mort, la kalos thanatos. Tels sont les fondements de l’éthique grecque. Il n’est pas inutile de les revisiter dans un monde agressif, qui déprécie la réflexion et accroît les inégalités. Un monde où chacun de nous a à vivre, trouver des repères et donner un sens à sa vie.

Dernière étape pour Ulysse et…pour nous : le passage par l’île des Phéaciens, dernière halte avant Ithaque. Ulysse y arrive après un dernier naufrage, une terrible tempête. Il est nu comme un ver, comme un enfant qui vient de naître. Il peut commencer peut-être une nouvelle vie.

C’est l’île du bonheur, de l’utopie, de l’euphorie. C’est peut-être l’Ithaque idéale, le rêve d’Ulysse, sans qu’on sache qui il est se voit accueilli comme un roi. On organise un grand banquet avec danse, musiciens et aède. L’aède commence à raconter les exploits d’Ulysse. Le héros soudain ne tient plus en place, il se met à pleurer et à hurler : « Je suis Ulysse, fils de Laërte, par mes ruses j’intéresse tous les hommes et ma gloire atteint le ciel… ». C’est un moment fort de l’Odyssée. De la narration de l’Odyssée, car l’épopée est construite comme un retour en arrière, un grand flash-back. Ulysse raconte son histoire depuis le départ de Troie. Le héros et le narrateur se confondent.

Il se produit comme une crise d’identité dans le cri du héros. Ulysse naît à sa condition être parlant et communiquant. Il est l’auteur de sa propre histoire, responsable du récit de vie, source d’une parole assumée. Il est redevenu lui-même, il s’est réunifié dans la parole qui vient articuler le corps propre du héros et le pouvoir symbolique du narrateur.

Chacun d’entre nous, sur la scène sociale, se trouve dans la situation d’Ulysse. Il doit répondre d’une identité, d’une subjectivité unique et exclusive. Il doit le faire devant les autres. Nous avons là une situation à la fois ordinaire et si l’on y regarde bien extraordinaire. Nous avons à dire « je » et à nous inscrire dans le grand discours du monde. Ce n’est pas évident. Il faut s’arracher à l’aimant du narcissisme. Il faut refuser aussi la pulsion brute, les passions voraces qui court-circuitent le langage et la communication.

 

4/ Qui est Ulysse ?

Pour nous le terme « Odyssée » est synonyme de voyage mouvementé. Mais Odusseus, en grec, désigne le héros lui-même, celui que nous appelons Ulysse. Tout au long de l’Odyssée, on ne sait pas grand-chose d’Ulysse. Il faut attendre les derniers chants, le retour à Ithaque pour avoir quelques informations sur le héros errant. L’épopée tente de répondre à cette question : qui est Ulysse ? Les premiers chants se déroulent à Ithaque. Ulysse est parti depuis presque 20 ans. Est-il mort ou vivant ? Est-il mort en héros ? S’il est vivant où se trouve-t-il ? Son fils Télémaque part à sa recherche.  Ulysse est la figure de cet homme qu’on cherche sans jamais le trouver, qui se cherche sans jamais se rejoindre.

 

Selon les expressions qui le qualifient, c’est « l’homme aux mille ruses », l’homme qui pense et qui réfléchit. Mais c’est aussi « le saccageur de villes », le chef de guerre brutal. Le beau parleur dont la parole fait des « flocons de neige ». Est-il le conteur ? L’homme qui pleure ? Ulysse incarne le moi pluriel aux « cent visages divers » dont parle Montaigne. « Ulysse est le seigneur des métamorphoses » nous dit le critique italien Pietro Citati. Oubli, erreur, saleté, faim, deuil, trahison, amour, orgueil, nostalgie, tristesse, larmes…au fil des épreuves, aucune de nos faiblesses ne lui sera épargnée. L’helléniste Jacqueline de Romilly peut écrire qu’«Ulysse connaît toutes les misères de la condition humaine ».

Le personnage esquisse contours d’un être indéfini, jamais achevé.  Pour l’humaniste florentin Pic de la Mirandole, l’homme est celui qui n’en a jamais fini avec lui-même et dont le destin est « d’achever sa propre forme ». Au siècle dernier, Sartre estimait que l’existence de l’homme précède son essence et qu’il est ce qu’il fait, ce qu’il se fait. Créateur donne à Adam : « Je ne t’ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. » L’homme est un vide jamais rempli, une page toujours blanche. « Personne » c’est encore le nom que s’attribue Ulysse pour échapper au Cyclope.

Quel est vrai désir de ce personnage multiforme ? Ulysse, en apparence ne souhaite qu’une chose : rentrer chez lui, retourner à Ithaque. Mais le veut-il vraiment n’est-il pas encore enivré du pouvoir acquis à Troie ? Vers quel passé est-il réellement attiré ? L’immédiat ou celui plus ancien de sa vie à Ithaque ? Pour le dire avec Freud est-il aimanté par son moi idéal ou par son idéal du moi ? Où est son vrai désir ? Son nom enveloppe une énigme. Odusseus est tiré du verbe odussomai (être fâché, contrarié). C’est son grand-père qui le lui a donné. Il était de mauvaise humeur, contrarié, quand il est venu visiter son petit-fils qui venait de naître. Ulysse est à l’image de l’Homme et de chacun d’entre nous, animé par des torsions et des contradictions. Il se construit en se refusant, en se réfutant. Figure naissante de l’homme européen, Ulysse en porte déjà le destin aventurier et la négativité à la fois créatrice et dangereuse.

L’initiation d’Ulysse a-t-elle réussi ? Pas complètement. De retour à Ithaque, Ulysse engage un combat légitime pour récupérer son trône et sa maison. Mais là encore il dérape, il est incapable de maîtriser sa rage. La guerre entre ses partisans et ses opposants s’installe. Il faut l’intervention de dieux pour que la guerre civile cesse. La régression reste possible, Homère et les aèdes ne sont pas innocents.

Au milieu des androïdes, des clones et des robots, je crois qu’Ulysse sera toujours là, c’est-à-dire toujours absent et toujours de retour, humain et barbare à la fois. Il incarne à la fois l’humanité possible et « ce point obscur de l’âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité » selon la belle expression de Jorge Semprun. Ne nous laissons pas fasciner par sa figure héroïque mais gardons l’idée d’un homme toujours capable de métamorphoses positives. Le voyage vers l’humanité continue…