CHRONIQUE D’UN CONFINEMENT (Jour 12/ samedi 28 mars)
Infini
La philosophie n’est pas une activité lexicale sur le sens oublié des mots mais il faut bien constater la proximité des termes confinement et infini. Elle se confirme dans les échanges nourris que cette chronique a suscités. Le confinement nous apporte un bénéfice secondaire imprévu : il nous oriente vers l’infini, ce qui n’est pas, il faut le reconnaître notre tendance naturelle.
En temps normal, l’infini ne fait pas partie de nos préoccupations immédiates. Chacun se voue à ses affaires, dans la sphère bornée de son travail, de sa famille et de ses intérêts. Il faut la nuit des étoiles à la plupart d’entre nous pour que l’immensité de l’univers, son mystère et sa beauté, nous effleurent l’esprit, le temps d’ un soir d’été. C’est comme si l’infini, l’éternité, l’absolu et toute une chaîne brillante d’idées grand format restaient incompatibles avec la vie ordinaire et bornée des hommes. L’infini est inhumain.
Depuis une dizaine de jours pourtant, sous l’effet d’un confinement qui nous libère des contraintes de l’activité, l’inhumanité de l’infini s’est immiscée dans notre vie. Sous la forme de l’infiniment petit d’un virus aussi invisible qu’angoissant parce que doué d’une puissance destructrice planétaire. Notre égocentrisme d’espèce et d’individus n’y a pas résisté.
Alors nous estimant maintenant peu de chose, enclos dans la conscience de nos limites, nous tournons nos regards vers un autre infini, aux couleurs de mystère, de doute ou d’incompréhension, dont nous cherchons le visage dans le ciel sans fond.
Mais qu’est-ce que l’infini ? Une amie qui a inspiré cette chronique souligne qu’on ne peut le connaître, que s’il reste sourd à nos appels, c’est peut-être pour notre bien ou parce qu’on ne sait pas entendre ses messages. Un autre suggère qu’il est toujours derrière nous comme un mur invisible auquel on serait adossé. J’en conclus -trop vite sans doute, soit qu’il en existe une quantité infinie d’infinis, soit que l’infini n’est que la projection de notre subjectivité. Et là, l’infini se complique…
Pascal, grand sondeur d’infini, fournit quelques balises. Il nous invite à distinguer trois, ou plutôt trois ordres d’infinis. Celui des corps, disons de la nature et de l’univers. Celui de l’esprit, qui peut connaître le précédent et qui est conscient de lui-même. Celui enfin que Pascal, en bon chrétien, nomme infini de la charité, terme équivalent à ce que nous nommons amour. Ils s’emboitent comme des poupées gigognes le dernier englobant les deux autres.
La petitesse et la fragilité de nos corps dans l’univers, la liberté sans limite de notre esprit, et l’amour, sous toutes ses formes, plus important encore : c’est bien ce que nous retrouvons dans la nudité de notre confinement. Celui-ci se prolonge alors qu’il nous semblait déjà durer une éternité. Après tout, si l’infini nous rend temporairement un peu plus grands…
Madame de Staël : « Nous ne connaissons l’infini que par la douleur. »
Lévinas : « La subjectivité est hospitalité d’Autrui. En elle se consomme l’idée de l’infini. »
Hobbes : “Quand nous disons qu’une chose est infinie, nous voulons seulement dire que nous ne sommes pas capables d’en concevoir les termes et les bornes : ce n’est pas de la chose que nous avons une conception, mais de notre incapacité”
Christian Bobin : « La moindre joie ouvre sur l’infini. »