CHRONIQUE D’UN DECONFINEMENT (Jour 25/ vendredi 10 avril)
Pauvres de nous
Quelle différence aujourd’hui entre un riche et un pauvre ? Le riche est confiné, adulte et il a peur du Covid-19, pour sa vie et pour son portefeuille. Cet enfant d’un bidonville de New Delhi qui fouille dans un tas d’ordures l’a dit très clairement dans un reportage d’Envoyé spécial : « Personne ne va attraper le coronavirus. Ça pue trop ici ! Le virus ne pourrait pas se répandre sur cette montagne car les microbes le mangeraient. » Le non-confiné est très jeune, il court sur des décharges et il n’a pas peur du virus…
Le retour d’image est violent. Il met en pleine lumière la fonction de tri social qu’opère le virus et qu’il rend manifeste. Celui-ci ne sépare pas seulement les porteurs sains, les immunisés, les infectés et ceux qui vont mourir. Il ne fait pas de hiérarchies uniquement entre les confinés occidentaux et les autres (réfugiés ou migrants). Il ne s’en tient pas à des distinctions cruelles au sein des confinés occidentaux où certains sont plus confinés que d’autres (les détenus) où d’autres pâtissent de la violence domestique que le confinement peut générer (les enfants et les femmes…).
Le virus divise les hommes en deux tas – riches et pauvres – avec plus d’agressivité encore que le compte en banque ou les apparences. Le gamin de New Delhi le dit avec son franc-parler et son indifférence désarmante : le virus est une maladie de nantis et le confinement un privilège. Cela se suppose ou se voit chez nous. Cela saute aux yeux quand on regarde ailleurs. Ce virus sans pitié éclaire notre planète. Aucune frontière, aucun abîme, que les temps ordinaires rendent invisibles, n’échappe à son faisceau de mirador.
Le clivage continue sur le plan de l’incrédulité. Les nantis sont frappés de stupeur. Les plus pauvres des pauvres croient que le virus ne viendra pas jusqu’à eux.
Et pendant que des gamins s’activent sur des décharges, la Présidente de la Banque Centrale Européenne a déjà sorti sa calculette de comptable pour évaluer le coût du confinement. Chaque semaine de celui-ci fait perdre de 2 à 3% de PIB aux pays de la zone euro, prévient-elle.
A ce rythme, la nudité philosophique du confiné risque fort de se transformer en nudité économique. Comme si ce système aujourd’hui enrayé n‘avait qu’une logique planétaire : la hausse tendancielle du taux de pauvreté.
Demain quand le tsunami de l’épidémie aura reflué, il se pourrait bien que « les eaux glacées du calcul égoïste », dont parlait Marx, enflent comme un torrent. A la différence du virus elles emporteraient tout le monde dans leur flux tumultueux. Et les pauvres des décharges et les nantis confinés. Les seconds y noieront aussi leur âme après l’avoir aperçue pendant quelques semaines. Elle ne sera plus qu’une sorte de déchet.
Benjamin : « Nous sommes devenus pauvres. Nous avons sacrifié bout après bout le patrimoine de l’humanité. »
Bataille : « La vérité est un démenti violent. »
Hugo : « C’est de l’enfer des pauvres qu’on fait le paradis des riches. »
Mandela : « La pauvreté n’est pas une chose naturelle. Il s’agit d’une création humaine, et elle ne peut être surmontée et éradiquée qu’au travers des actions des êtres humains. »